Yesterday est une ode à la musique dans ce qu’elle a de plus fort : son caractère fédérateur et son rôle fondateur de la mémoire collective. A travers la disparition des Beatles dans notre monde, dont seul se souvient un jeune musicien raté, Danny Boyle plonge dans notre rapport à l’art. Celle qui a su façonner une partie de notre histoire et dont l’absence est la pire des douleurs. Plus qu’une déclaration, une chanson d’amour.
« Et si ? » Deux mots si simples qui ouvrent la porte à tous les fantasmes. En France, Jean-Philippe de Laurent Tuel imaginait un monde sans Johnny Hallyday. Dans une autre mesure, Mon Inconnue de Hugo Gélin, racontait un homme qui se réveille dans un univers où sa femme ne l’avait jamais rencontré. Et si on décidait d’aller encore plus loin ? Danny Boyle et Richard Curtis l’ont fait ( aussi une bande-dessinée de David Blot du même nom que le film). Et si nous prenions l’un des plus grands groupes de tous les temps pour en imaginer un monde exempt ? C’est ce que s’amuse à faire Yesterday à travers l’ascension de Jack Malick, un jeune musicien en galère, dernier cerveau qui se remémore les Beatles et donc leur oeuvre. Rares sont les artistes qui n’ont pas imaginé un jour se réveiller dans un monde où ils pourraient prendre la place de leurs idoles. Le registre musical oublié des Beatles devient l’almanach à la Retour vers le futur de notre héros. Les chansons du groupe deviennent des éléments jamais remis en question synonymes de succès quoi qu’il arrive. Pour explorer ce monde sans Beatles, Yesterday décide de partir sur plusieurs axes. Dans le premier, il pose la question d’un monde sans l’influence des Beatles. Ainsi, Oasis n’a par exemple jamais existé, symbolisant ces nombreux groupes qui n’auraient jamais vu le jour sans ces sacrés game-changers musicaux que formaient le Fab Four. Cependant, cet axe n’est pas assez exploré et aurait pu aussi montrer une industrie musicale supposée radicalement différente sans l’existence du boys-band le plus célèbre de l’histoire. Qu’est-ce qu’ont changé les Beatles ? Pourquoi leur oeuvre est-elle devenue intemporelle ? On peut dès lors regretter toutes les possibilités jamais exploitées qu’aurait pu offrir cette douce uchronie.
Mais finalement, ce n’est pas ça qui intéresse Yesterday. Ce qui passionne le long-métrage de Danny Boyle n’est pas tant les conséquences macro d’un monde sans Beatles, mais bien les répercussions plus intimes que causent la disparition d’une des plus fabuleuses œuvres musicales. En cela même si la question du plagiat vient apporter la seule véritable source de tension du film, cette dimension ne devient qu’accessoire dans le propos général du film. D’ailleurs, si dans le long-métrage le groupe oublié est les Beatles, aurait-il pu en être autrement ? Oui et non. Rares sont les artistes à avoir su autant fédérer à travers le monde pour que leur héritage devienne indiscernable du monde qu’ils ont touché. Mais Curtis se sert des Beatles pour dépasser le cadre de ce groupe de musique. Finalement, l’identité artistique des Beatles et de leurs chansons n’est jamais vraiment montrée, rendant le récit plus universel (à tort ou à raison). Ici, les Beatles ne sont là que pour symboliser un pan de notre culture collective. Il aurait pu s’agir de Harry Potter (un petit clin d’œil prête au sourire) ou Michael Jackson. Et c’est ici que le long-métrage atteint son point le plus intéressant : sa présentation de l’art comme partie intégrante de notre mémoire collective. Les nouvelles générations n’ont pas connu les Beatles à leur apogée et pourtant leurs environnements musicaux sont profondément affectés par l’héritage du groupe. Ceux qui les ont connus à leur époque ont associé tant de moments de leur vie à la discographie des Fab Four. La véritable souffrance dans le film ne provient pas du fait qu’un individu s’approprie une oeuvre qu’il n’a pas composée, mais bien qu’un monde vive sans une part de sa mémoire. Un monde sans Beatles, c’est d’abord quoi ? Un monde sans que ses membres existent ? Un monde sans que le talent de Ringo ou Harisson n’aie vu le jour ? Une très belle scène surprise du long-métrage nous offre une réponse douce-amère, mais nous n’en dirons pas plus ici. Un des autres axes du film est donc celui, nous l’évoquions plus tôt, du plagiat. Le dernier acte met Jack face à l’ensemble de ses tourments.
/ Attention spoilers /
N’est-il qu’une imposture ? Comment peut-il oser vivre et être reconnu grâce à l’art d’autres ? Pourtant, toute cette angoisse finit par se désamorcer lorsqu’il découvre qu’il n’est pas le seul à ne pas avoir perdu la mémoire. Et que les deux seules autres personnes lui sont gratifiantes de ne pas avoir laissé périr leurs souvenirs, de leur avoir donné une seconde vie. Cela apparaît comme un petit twist, mais qui n’a finalement rien d’anodin et révèle le véritable sens du film. Les chansons que Jack a volées proviennent d’artistes qui n’existent pas en tant que tels dans cette réalité. Ce qu’il fait n’est donc profondément problématique que d’un point de vue personnel. Un peu plus tard, Jack révèle au public qu’il n’est pas le compositeur de ses chansons, c’est ici que le film pourrait s’arrêter. Le film est basé sur l’imposture du héros, celle-ci prend fin. La vérité est (r)établie. Mais à quoi bon ? A quoi bon un monde qui aurait perdu cette belle mémoire que nous évoquions ? Jack décide donc de donner gratuitement l’ensemble de son oeuvre (ou plutôt de celle des Beatles). Personne ne peut définitivement privatiser l’art et par conséquent nos souvenirs. A travers l’acte de son protagoniste, Yesterday étend son propos sur la culture. Jack n’est qu’un passeur, un intermédiaire entre deux mondes dont il tente de rétablir le lien. Ce n’est pas la vérité qui sauve son héros, mais bien le fait d’assumer son statut de passeur. Car la culture, quand elle devient si majeure, finir par appartenir à tous. Elle dépasse ses auteurs, ses producteurs, ses interprètes. Dans le film de Danny Boyle, l’art apparaît comme un bien collectif d’intérêt général. Un remède définitif contre la maussaderie. Mais sur le reste, Yesterday n’invente rien. Ni dans sa critique de l’industrie musicale comme lutte entre la compromission artistique et les intérêts commerciaux. Ni dans cette ascension d’un artiste vers le succès. Ni dans sa romance clichée tiraillée entre la réussite de l’un et l’amertume de l’autre, la pochette d’Abbey Road n’aurait jamais vu le jour. La seule chose amusante qu’on puisse en tirer est sûrement de se rendre compte que, oui les Beatles n’auraient sûrement pas pu exister à nouveau aujourd’hui. Hey Jude serait devenu Hey Dude, le White album aurait causé la colère des internautes pour son titre.
Et si c’était mieux avant ? Sûrement pas. Yesterday est une ode à l’art, pas seulement dans sa forme brute et spontanée mais aussi et surtout dans son caractère évolutif. Les tubes deviennent des hymnes. Les anciens albums finissent par constituer la bande originale de nos vies, la playlist de nos souvenirs. Et l’oeuvre des Beatles ? Un héritage essentiel à notre santé mentale. Si tout cela était amené à disparaître, nous aimerions volontiers qu’un jeune artiste raté puisse nous ramener cette infusion de joie.
Bande-annonce – Yesterday :
Fiche technique – Yesterday
Interprètes : Himesh Patel, Lily James, Kate McKinnon, Ed Sheeran
Réalisation : Danny Boyle
Scénario : Richard Curtis, d’après une histoire de Jack Barth et Richard Curtis
Direction artistique : James Wakefield
Décors : Patrick Rolfe
Costumes : Liza Bracey
Photographie : Christopher Ross
Montage : Jon Harris
Musique : Daniel Pemberton
Production : Bernard Bellew, Tim Beva, Danny Boyle, Richard Curtis, Eric Fellner et Matthew James Wilkinson
Production déléguée : Nick Angel et Lee Brazier
Sociétés de production : Etalon Films et Working Title Films
Sociétés de distribution : Universal Pictures
Pays d’origine : Royaume-Uni
Genre : film musical, comédie romantique, fantastique
Durée : 116 minutes
Dates de sortie : 3 juillet 2019