Un peu, beaucoup, aveuglément, un film de Clovis Cornillac : critique

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Clovis Cornillac, acteur de théâtre, films et séries, se lance dans la réalisation avec un premier film étrangement aussi surprenant qu’académique. Un peu, beaucoup, aveuglément, c’est d’abord un rôle taillé sur mesure pour l’acteur-réalisateur et sa femme, Lilou Fogli.

C’est elle qui a eu l’idée originale du scénario : un couple qui s’aime par la voix exclusivement, à travers une mince cloison. Mais elle ne joue pas cette femme puisque c’est Mélanie Bernier qui tombe ici amoureuse de la voix de Clovis Cornillac. Les deux personnages n’ont pas de prénom, ils s’appellent « Machin » et « Machine », titre d’origine de ce premier long métrage. Voilà toute l’originalité d’Un peu, beaucoup, aveuglément : se parler sans se voir, mais pas derrière un ordinateur comme nos romances modernes nous le permettent. A l’heure où des chaînes de télévision veulent revenir à l’état brut – la nudité – pour des rencontres
censées êtres « plus vraies », Clovis Cornillac se reconcentre sur les sensations. A travers la mince cloison qui les sépare, le couple se parle, construit une relation basée sur l’ouïe et la description de ce qu’ils ressentent. Clovis Cornillac met alors en scène leurs mains qui se posent de chaque côté de la paroi, un dîner qu’ils réalisent chacun de leur côté, en même temps, mais sans parvenir au même résultat. Ils mangent ensemble, mais pas la même chose, sans savoir ce que l’autre a vraiment fabriqué. Ainsi, ils vivent la même expérience, mais décalée. C’est comme ça qu’un orgasme imagé est déclenché par la voix et un lâcher prise au piano du personnage de Mélanie Bernier qui prépare un concours important. Elle est pianiste, effleure les touches de son clavier avec académisme d’abord, puis en ressentant chaque note ensuite alors que lui construit des casses-têtes, fait travailler son esprit, ressent aussi l’étrange sensation de toucher et créer à la fois. Leur sens, outre se voir, sont en ébullition. En prenant le temps de ressentir, de bannir les écrans de son film, Clovis Cornillac s’offre un rôle proche de celui qu’il incarnait dans Chefs (la série de France 2) : un solitaire créatif, privé d’un sens, mais qui goûte la vie peu à peu.

Pour raconter cette romance particulière de deux êtres qui s’aiment sans se voir, Clovis Cornillac a tenté de mettre en scène le cloisonnement, filmant la séparation et le rassemblement du couple dans une même scène. Il laisse un mur et abolit les autres. Il filme aussi les pieds des hommes, la jeune pianiste cherchant à reconnaître son aimé par ce détail. Problème, il ne sort jamais de chez lui ! Résultat, quand elle croit le voir, elle refuse qu’ils se parlent, s’en suit une pantomime avant qu’elle découvre son erreur. Cette mise en scène a un certain intérêt, mais une fois que Cornillac a trouvé une idée, il la répète trop. On voit ainsi plusieurs fois, sans vraies nuances, Mélanie Bernier regardant les pieds ou allant acheter des surgelés. C’est surtout pour son sens des dialogues que Clovis Cornillac se distingue comme scénariste. Fins et drôles, les échanges entre les différents protagonistes font souvent mouche.

Autre force du film, son personnage féminin : il s’émancipe, prend sa revanche sur la domination des autres en ne s’offrant pas tout de suite au regard et en rejetant l’autorité, la puissance d’un corps qui domine (le prof de piano). Nous avons alors là un personnage féminin qui ne choisit pas seulement l’amour, mais aussi de faire ses propres choix. Au-delà, Clovis Cornillac étudie les rapports humains à l’aube des sensations brutes. Musique, goût, voix, sont autant de ressentis qui précèdent le vrai touché et la vue. Mais Clovis Cornillac ne parvient tout de même pas à s’extraire du carcan de la comédie romantique attendue, avec ses personnages secondaires forcément construits en  opposition au héros pour en renforcer la pureté, l’essence (même si Philippe Duquesne est superbe dans son rôle). On s’attend à la fin dès le début et malgré l’originalité de la formation du couple, le parcours, Clovis Cornillac atteint les mêmes conclusion : le bonheur dans l’amour qu’on croit unique. Les personnages traversent des obstacles, mais sans nous émouvoir car on sait que tout finira bien, sans difficulté. Même s’il joue avec les codes, le réalisateur ne va pas assez loin et livre un film agréable, mais loin d’être inoubliable. « La réalisation était pour moi l’oeuvre d’un architecte qui exerce son art. Or je ne suis pas très à l’aise avec cette idée de l’Art avec un grand A. Je ne me suis jamais considéré comme un ‘Artiste’ mais comme un artisan d’art. Je me suis d’ailleurs régalé à travailler dans cet esprit pendant trente ans, en tant que comédien. Depuis quatre/cinq ans, l’idée de réaliser me trottait pourtant dans la tête mais je n’avais pas envie de me tromper donc je l’ai mûrie longtemps. Si je réalisais un film, je voulais le faire en espérant réaliser quelque chose de nécessaire correspondant à un besoin artistique. Une fois ce besoin assumé et affirmé, il n’y avait plus de place au doute. »* Clovis Cornillac est avant tout un artisan qui ressent, essaye, expérimente, comme son personnage qui se révélera finalement heureux d’aller à la rencontre de l’autre et de traverser l’écran pour voir et donner à voir.

*propos retranscrits par Allociné à partir du dossier de presse du film

Synopsis : Lui est inventeur de casse-têtes. Investi corps et âme dans son travail, il ne peut se concentrer que dans le silence. Elle est une pianiste accomplie et ne peut vivre sans musique. Elle doit préparer un concours qui pourrait changer sa vie. Ils vont devoir cohabiter sans se voir…

Fiche technique – Un peu, beaucoup, aveuglément

France- 2014. Au cinéma le 6 mai 2015
Réalisation : Clovis Cornillac
Scénario : Lilou Fogli, Clovis Cornillac, Tristan Schulmann
Compositeur : Guillaume Roussel
Directeur de la photographie : Thierry Pouget
Production : Cine Nomine, Fair Play Production, Vamonos Films
Distribution : Paramount