The Beta Test : Sexe, mensonges et Hollywood

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Faire un film sur un agent hollywoodien qui se retrouve embourbé dans une sombre histoire de lettres anonymes a tous les ingrédients d’un mauvais remake. C’était sans compter sur le talent de Jim Cummings. Avec The Beta Test, le réalisateur semble être passé maître dans le genre de la tragi-comédie politique.

Synopsis : Alors qu’il est sur le point de se marier, Jordan Hines, un agent hollywoodien sans histoires, reçoit une mystérieuse lettre anonyme qui bientôt fait vaciller toutes ses certitudes.

Un film indépendant

Regarder un film de et avec Jim Cummings est toujours synonyme de surprise tant ce dernier parvient avec brio à offrir un mélange les genres. Ce réalisateur multi casquette, à l’aise aussi bien derrière que devant la caméra, sait tirer un parti comique de n’importe quelle situation. On se souvient de son premier long-métrage Thunder Roads (2018) où le cinéaste incarnait un policier dévasté par l’enterrement de sa mère, qui réussissait malgré lui, à transformer l’évènement tragique initial en catharsis collective. Ce premier film, récompensé par le Grand Prix du jury au festival du cinéma américain de Deauville, a d’emblée assuré à son créateur une solide réputation parmi les cercles critiques. The Beta Test ne déroge pas à la règle. Diffusé en avant-première au festival du film de Berlin en mars dernier, le troisième long-métrage de Jim Cummings rachète en quelque sorte l’échec cuisant de son dernier long The Wolf of Snow Hollow (2020), injustement passé inaperçu au box-office, en raison de la crise sanitaire.

The Beta Test se situe résolument dans la veine de la production cinématographique indépendante. À l’heure où nous écrivons cette critique, le film a engrangé quelque 38 000 dollars de recette au box-office sur un budget initial de 250 000 dollars. Corneille a affirmé dans Le Cid que : « La valeur n’attend point le nombre des années ». Jim Cummings se réapproprie sans le savoir la formule du dramaturge. On pourrait, en effet, affirmer sans ambages que chez ce natif de La Nouvelle Orléans, la valeur n’attend point le nombre d’entrées. Il importe peu de chiffrer le succès d’un film, pourvu qu’il puisse être vu par le public. Avec son nouveau film, le cinéaste cherche volontiers à dérouter, voire à (dé)plaire aux spectateurs. Le cinéaste parvient, en effet, à faire d’une mystérieuse énigme, le terreau scénaristique d’une œuvre foisonnante qui aborde pêle-mêle la crise du couple et la déchéance d’Hollywood.

Itinéraire d’un gros bêta

Avis aux lecteurs qui, en lisant cette critique, craindraient d’être méchamment spoilé. Rassurez vous, il est possible d’évoquer The Beta Test sans, pour autant, éventer le « plot » mystérieux autour duquel repose le film. Car, de fait, quand on découvre l’œuvre de Jim Cummings, naît comme qui dirait un air de déjà-vu face aux images que l’on voit défiler à l’écran. L’histoire de Jordan Hines, cet agent hollywoodien à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession, et qui voit son existence bouleversée, par l’arrivée d’une mystérieuse lettre anonyme, n’est pas sans faire écho à un scénario bien connu du thriller psychologique.

Ce dernier pourrait se résumer ainsi : un héros masculin, aux prises avec une énigme apparemment insoluble, se retrouve soudainement plongé dans un monde qu’il ne reconnaît plus, et assiste médusé au délitement de son propre univers, le tout sur fond d’ambiance kafkaïenne. The Beta Test s’inscrit dans une narration classique ultra référencée. Certains élément du films renvoient aux intrigues tortueuses de David Fincher. On pense notamment au jeu de piste The Game (1997) ou encore, dans une moindre mesure, au thriller Zodiac (2007). On pourrait également citer le film Under the Silver lake (2018) de David Robert Mitchell qui est vraisemblablement l’œuvre cinématographique à laquelle se réfère peut-être le plus Jim Cummings.

Toutefois, avec la malice qui le caractérise, le cinéaste s’amuse de ces ressemblances afin de mieux les détourner. Si The Beta Test est pensé, et vécu par le public, comme un film psychologique, il n’en reste pas moins une œuvre tragi-comique. Jordan Hines est un personnage tout droit sorti d’une farce qui paraît trop réelle pour être vraie. Pour le réalisateur, réalité et fiction ne sont que les noms d’un seul et même univers : celui d’Hollywood et ses travers. À l’évidence, le film se moque aussi bien de son héros que de l’usine à rêves pour laquelle il travaille. Le cinéaste dresse un portrait sans fards du Hollywood post Harvey Weinstein. Le personnage principal est donc clairement le (gros) « bêta » du titre dont on suit l’itinéraire.

The Film test

The Beta Test pourrait aisément être renommé « The Film test ». L’œuvre joue, en effet, sur plusieurs tableaux. Il y a d’abord évidemment la critique féroce du système hollywoodien. Jim Cummings rappelle que l’ère Weinstein est loin d’être terminée. Le réalisateur semble dire que la fin du producteur vedette de Miramax n’est que l’arbre qui cache une forêt (encore) vivace et active. Ce dernier fait du comique de situation une arme politique qui lui permet de pointer du doigt l’hypocrisie généralisée des acteurs majeurs du système. Rien n’a changé ou presque. Tel semble être l’idée avancée par l’œuvre. En prêtant ses traits à l’antipathique Jordan Hines, Jim Cummings parvient, au passage, à apporter de l’humanité à un personnage de bonimenteur, prêt à tout pour détenir du pouvoir. Si le film teste le héros, notamment dans son aptitude invétérée à la mauvaise foi, il constitue également une « œuvre-test » pour son réalisateur.

Le film a, en outre, été réalisé à partir d’un concept – la fameuse énigme dont nous tairons le contenu – qui paraît à première vue quelque peu téléphoné. Il fallait évidemment le talent de Jim Cummings pour parvenir à proposer une œuvre, de plus d’une heure et demie, mêlant divers sujets, et ce, à partir d’un postulat plutôt simple. The Beta Test est loin d’être seulement un énième réquisitoire, fustigeant les rouages pervers de la machine hollywoodienne. Le cinéaste fait de la dichotomie entre l’être et le paraître un puissant moteur de réflexion. Car, en voulant à tout prix sauver les apparences, le héros brise un peu plus le vernis de perfection qui protégeait jusqu’à maintenant son image et celle de son couple. En interrogeant la responsabilité du héros, Jim Cummings questionne du même coup la signification que l’on doit donner à l’innocence et à la culpabilité. Le cinéaste élabore ainsi la base d’une large réflexion autour des liens qui unissent victime et bourreau.

The Beta Test est, en cela, une œuvre quasi interactive. Le réalisateur pousse loin l’exigence critique jusqu’au paroxysme comique. Le film teste l’esprit critique du public en (lui) posant un certain nombre de questions. Car, si le système hollywoodien semble être encore, aux yeux du réalisateur, bien trop « Weinsteinien », qu’en est-il alors de notre propre société ? The Beta Test n’est certes pas un film féministe, encore moins un brûlot censé nous faire la morale. L’œuvre tente, au contraire, de renverser les représentations manichéennes classiques afin de nous confronter à notre responsabilité individuelle et collective.

Bande-annonce – The Beta Test

Fiche techniqueThe Beta Test

Réalisation : Jim Cummings, P.J McCabe

Scénario : Jim Cummings, P.J McCabe

Société de production : Vashining Angle, DiffeRant Productions, Sons of Rigor Films

Distribution : New Story

Interprétation : Jim Cummings (Jordan Hines), Virginie Newcomb (Caroline Gates), P.J McCabe (P.J).

Durée : 1h33

Genre : Comédie dramatique

Sortie : 15 décembre 2021

Pays : États-Unis

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4