Malgré le défaut de vouloir trop et tout mettre dans son premier film, Hugues Hariche parvient à capter la spontanéité de l’adolescence à travers les corps meurtris de deux jeunes patineuses. L’une comme l’autre rêve de succès. Rivière dépeint leur croisade au carrefour de la résilience, de l’amitié et du courage dans un milieu social très masculin.
Synopsis : Manon, dix-sept ans, quitte les montagnes suisses à la recherche de son père, introuvable. En formant de nouveaux liens et en découvrant son premier amour, elle est déterminée à suivre le chemin qu’elle s’est tracé sur la glace : devenir une joueuse de hockey professionnelle.
Après s’être imprégné du culturisme (Flow), de la danse électro (Metropolis) et de la solidarité pour préserver un environnement sain et durable (Protect), Hugue Hariche quitte le sud-est des États-Unis pour réinvestir les lieux de son enfance. Son premier long-métrage apparaît alors comme la somme des thématiques rencontrées dans ses courts-métrages, avec un attrait particulier pour les corps, comme instrument de communication visuelle indispensable. Le cinéaste franco-suisse convoque ainsi toute la fougue d’une jeunesse prête à tout pour se libérer du joug parental, quitte à se laisser enfermer dans leur propre prison de glace et d’obsession. Bien entendu, les protagonistes féminins de Rivière clament leur liberté et comptent bien s’en libérer.
Perdues dans l’hiver
Qui est donc cette jeune fille recueillie par Sophie (Camille Rutherford) et que l’on surnomme « la Suisse » tout au long du récit ? Celle qui a fui la morosité des Grisons pour la commune frontalière de Belfort cherche à définir son identité. Manon porte le nom de son père, Rivière, et chasse désespérément cette stabilité familiale qu’elle n’a jamais eue. Sa résilience la conduit rapidement sur la glace, l’un des rares endroits où elle s’exprime avec clarté. Patins aux pieds et palet au bout de sa crosse, Manon ne renonce jamais à une bataille, même si son entourage la condamne d’avance. Flavie Delangle apporte toute la vulnérabilité et l’agressivité nécessaire pour que son personnage marque les esprits. C’est effectivement le cas à travers une physicalité convaincante. Delangle est particulièrement communicative dans son silence, comme elle l’a démontré dans Stella est amoureuse.
Il en va de même pour Sarah Bramms, remarquée et remarquable en compétitrice de patinage artistique dans Kiss & Cry. C’est pour un rôle similaire qu’elle est dépêchée à Belfort, afin d’exposer son corps affaibli à l’écran. Elle campe une Karine obnubilée par la perfection et le succès, ce qui ralentit inévitablement sa guérison, aussi bien physique que psychologique. On peut régulièrement entendre « J’ai l’habitude » chez Manon, Sophie et dans l’attitude autodestructrice de Karine. Ces femmes évoquent leurs blessures et les illusions qu’elles entretiennent. Qu’il s’agisse de s’illustrer sur la glace ou de reprendre confiance en soi, chacune tente de trouver leur place dans leur cercle intime malmené par leurs choix, ou plutôt leurs non-choix.
Les reines de la glisse
Le récit passe le plus gros de son temps au crochet des groupes de jeunes, qui appliquent leur droit de carpe diem avec beaucoup de générosité. C’est alors que la caméra se resserre sur une relation naissante entre les deux patineuses. Comme deux pôles qui s’attirent et se repoussent à la fois, le cinéaste capte merveilleusement les maladresses et la beauté d’un premier émoi, jusqu’à la mettre en scène, avec plus de maturité que dans Les liens du sang. Et en ajoutant une touche de subtilité avec le caractère de Manon, « qui n’aime pas les filles », cela en dit long sur son approche des genres. Elle n’a cessé de batailler toute son enfance pour exister dans tous les groupes où le masculin domine. Là où on la sent réellement s’envoler c’est bien sur la glace, où elle fait jeu égal avec ses rivaux, qu’ils viennent du camp adverse ou du sien. Les séquences immersives au raz de la glace témoignent de toute la brutalité et la vivacité nécessaires pour survivre dans ce sport. Pourtant, Manon n’a sans doute rien à prouver au hockey. Il lui reste cependant encore des efforts à fournir pour arriver au bout de son chemin de croix.
C’est à cela que l’on reconnaît la qualité du film, dans sa manière de dialoguer avec le corps de ses héroïnes. Mais là où l’on se démarque du portrait assez niais et naïf de En corps de Cédric Klapisch, c’est dans l’authenticité de la douleur. Rivière rend compte d’une vie remplie d’adversité dans laquelle des femmes sont confrontées, tout cela dans un cadre sportif vampirique. S’émanciper d’un nom, d’un passé ou d’un rêve pour enfin atterrir dans la seule réalité qui compte, telle est la voie suivie dans ce drame contemporain. On regrette seulement un dénouement expéditif, conséquence de la compression de plusieurs arcs narratifs que l’on aborde de manière inégale. Le réalisateur referme alors dans l’urgence les portes thématiques que le réalisateur a enfoncées. Reste que l’on reste convaincu par ce portrait triomphant de l’adolescence et de la féminité, qu’elles se situent sur le plan social, professionnel ou sentimental.
Bande-annonce : Rivière
Fiche technique : Rivière
Réalisation : Hugues Hariche
Scénario : Joanne Giger, Hugues Hariche
Directeur de la photographie : Joseph Areddy
Son : Benoît Barraud, Théo Viroton
Éclairage : Tangi Zahn, Paulo Miguel Leite da Silva
Décors : Yannis Borel
Costumes : Éléonore Cassaigneau
Maquillage : Virginie Pernet
Casting : François Guignard A.r.d.A
Directeur de production : Olivier Monnard
Premier assistant réalisateur : Benoît Monney
Scripte : Sonia Pfeuti
Coordinateur de production : Marc Burger
Montage : Nicolas Desmaison
Musique : Nicolas Rabaeus
Mixage sonore : Maxence Ciekawy
Étalonnage : Boris Rabusseau
Production : Beauvoir Films, Les Films d’Argile
Pays de production : Suisse, France
Distribution France : Outplay Films
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 30 octobre 2024