Paradise is burning : Aidé de l’acteur Alexander Öhrstrand à l’écriture, la cinéaste peint sans misérabilisme le coming of age de trois sœurs laissées à l’abandon .
Synopsis de Paradise is burning : Dans une région ouvrière de Suède, trois jeunes sœurs se débrouillent seules, laissées à elles-mêmes par une mère absente. Une vie joyeuse, insouciante et anarchique loin des adultes mais interrompue par un appel des services sociaux qui souhaitent convoquer une réunion. L’aînée va alors devoir trouver quelqu’un pour jouer le rôle de leur mère…
Bande de Filles
À l’international, Rüben Östlund mis à part, et de quelle manière, le cinéma suédois semble ces derniers temps plutôt à la traîne par rapport à ses voisins danois (Sons, récemment) et surtout norvégiens (Julie (en 12 chapitres), les Innocents, ou encore Sick with Myself pour les derniers). Ce nouveau film, Paradise is burning qui est le premier de la cinéaste Mika Gustafson, comble très joliment ce petit retard.
Comme pour les Innocents d’Eksil Vogt, les protagonistes sont des enfants. Alors que dans le film norvégien, le film se passe dans l’environnement d’immeubles HLM, ici, on se trouve dans un quartier de préfabriqués rouges dans la verdure d’une banlieue ouvrière suédoise, petits mais proprets. Laura (Bianca Delbravo), Mira (Dilvin Asaad) , Steffi (Safira Mossberg) ont respectivement 16, 12 et 7 ans. Elles sont sœurs, le père n’est jamais évoqué, la mère à peine davantage. Laura reçoit un appel des services sociaux qui préviennent d’une visite à domicile pour des absences scolaires signalées, et en demandant à sa tante de jouer le rôle de la mère pour éviter les placements, elle lui apprend que sa mère est (de nouveau) absente depuis Noël. Une indication de date affolante, puisque le film se tient sous un soleil d’été et de vacances, le plus souvent à la piscine. Donc, au moins 6 mois de débrouille déjà, 6 mois de grande précarité pour les 3 sœurs.
Paradise is burning se lit à plusieurs niveaux. Tout naturellement, comme dans le très émouvant Nobody Knows de Hirokazu Kore Eda, la lecture immédiate est celle de cette précarité économique, avec toutes les astuces et les intrigues de Laura pour éviter la faim à ses sœurs, et pour les garder dans un minimum de dignité et d’apparence sociale. Elle déploie une créativité sans limite pour subvenir aux besoins de ce qu’on doit bien appeler, malgré son propre âge si jeune, sa famille à charge, et ses facéties apportent une légèreté à la vision d’une vie beaucoup plus difficile qu’elle n’en a l’air. Mais très vite , on perçoit les autres couches du film de la réalisatrice, des couches qui touchent leur intimité. Ces trois enfants sont à la fois 3 facettes d’une même adulte en devenir, tout en étant trois personnes bien distinctes qui font face comme elles peuvent à leur détresse, chacune à sa manière.
A 16 ans, Laura est à l’orée de l’âge adulte, des sentiments nouveaux naissent, des prises de conscience aussi, qui dépassent parfois sa dévotion à l’égard de ses sœurs. Mira quant à elle, passe de l’enfance à la puberté, avec ce que cela suppose d’inquiétude et de questions qu’elle doit dépatouiller par elle-même. Steffi, une adorable enfant quasi-sauvage, mais pétillante et espiègle perd une dent et quitte, apeurée, une primo-enfance sans enfance. Dans chacun de leur cas, la mise en scène permet de ressentir ce passage, le coming of age qu’elles expérimentent, comme des étapes successives, marquées d’ailleurs par de jolis rituels, sans doute fantasmés par Mika Gustafson, même si on est dans le pays où les rites et les légendes elfiques du type Midsommar existent.
Trois personnes différentes donc, mais la même vie circule de l’une à l’autre, la même énergie qui provoque autant de joie que de colère et de peine à fleur de peau, tant leur proximité est étroite. Le titre de travail du film était Sisters, et la sororité est magnifiquement dépeinte dans ce film, aussi bien à l’intérieur du foyer qu’à l’extérieur, où les trois filles traînent toute la journée avec une bande de filles, des gamines tout aussi délaissées qu’elles, sans aucun parent à l’horizon, cigarettes, drogues et alcool circulant naturellement et plutôt abondamment entre elles. Elles vivent à l’unisson, partageant le même présent et surtout les mêmes perspectives, vivant dans une liberté qui n’a de limite que les drames potentiels comme autant d’épées de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Un paradis brûlant, vraiment.
La cinéaste filme avec beaucoup de précision, et avec surtout beaucoup de tendresse pour ses personnages. Chacune trouve en chemin un ami, et ces autres personnages, tout aussi vulnérables à divers degrés, sont tous très attachants. Tout le monde est réduit à un facteur commun, l’humanité pure, peu importe qu’il soit homme, femme, vieux ou jeune. L’âge et le sexe importent peu dans les amitiés qu’elles ont nouées, seule compte la compassion réciproque dans un monde empreint de mélancolie où chacun semble avoir du mal à trouver sa place.
Interprété magnifiquement par des actrices débutantes qui jouent chacune à la fois leur propre personnage , mais également le lien fort qui les unit, servi aussi par des seconds rôles très justes, Paradise is burning est un petit bijou qui émeut par bien des façons, et clôture de belle manière une saison estivale de cinéma déjà bien riche.
Paradise is burning – Bande annonce
Paradise is burning – Fiche technique
Titre original : Paradiset brinner
Réalisateur: Mika Gustafson
Scenario : Mika Gustafson, Alexander Öhrstrand
Interprétation : Bianca Delbravo (Laura), Dilvin Asaad (Mira), Safira Mossberg (Steffi), Ida Engvoll (Hanna), Mitja Siren (Sasha), Marta Oldenburg (Zara), Alexander Öhrstrand (Le mari de Hanna)
Photographie : Sine Vadstrup Brooker
Montage : Anders Skov
Musique : Giorgio Giampà
Producteurs : Nima Yousefi, Coproducteurs : Marco Valerio Fusco, Micaela Fusco, Venla Hellstedt, Jenni Jauri, Maria Stevnbak Westergren
Maisons de production : Hobab, IntraMovies, Toobox, Tuffi Films
Distribution : Epicentre Films
Durée : 109 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 28 Août 2024
Suède·Italie·Danemark·Finlande – 2023