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Mercenaire, un film de Sacha Wolff : critique

Le passé de documentariste du réalisateur lui assure un naturalisme qui évite le pathos et le misérabilisme, mais son manque d’expérience dans la fiction est palpable dans l’écriture inaboutie de son récit.

Synopsis : Au sein de la communauté wallisienne de  Nouméa, la tension est palpable du fait de la fronde de Soane envers son père. C’est ainsi qu’y est perçu sa décision de quitter sa terre natale pour rejoindre une équipe de rugby en métropole. Son voyage va toutefois le mener dans un univers où il devra apprendre à s’émanciper.

Quête initiatique en Ovalie

En guise de premier long-métrage (après plusieurs courts et moyens métrages documentaires), Sacha Wolff nous propose de mettre au cœur de son film deux sujets injustement peu mis à profit par le cinéma français malgré leur énorme potentialité : la communauté wallisienne et le rugby. Autrement dit, la collision entre les folklores océanien et du sud-est de la métropole. Mais un tel dispositif de « choc des cultures » était difficilement concevable sans que l’exploitation des caractéristiques propres à ces deux univers, qui semblent n’avoir en commun que la sacralisation de la virilité, ne sombre dans la caricature. C’est malheureusement dans ce piège que tombe le film, et en particulier dans la caractérisation de son personnage principal et de son parcours, au cours duquel il sera traité comme on traite une vulgaire bête de compétition.

Soane apparait comme un jeune homme imprégné des traditions ancestrales polynésiennes dans lesquelles il a grandi, mais dont, paradoxalement, le départ semble être moins alimenté par son envie de faire carrière dans le rugby que par sa volonté de s’éloigner de ses terres natales, et en particulier de l’étau de son père. Un chemin qui va le conduire entre les griffes d’un recruteur malhonnête, lui aussi d’origine océanienne. Le passage d’une violence physique à une violence psychologique dont il faudra se libérer. Une litanie des plus classiques donc, mais traitée avec une distanciation qui empêche au film d’approfondir efficacement sa dénonciation des méthodes véreuses en cours au sein des petits clubs de sport semi-professionnels. Pour de trop rares évocations des pratiques de dopages ou des magouilles financières qu’il prétend pointer du doigt, le scénario va chaque fois préférer se concentrer sur le quotidien aux faibles enjeux cinématographiques de son héros.

Outre une histoire d’amour avec une fille peu farouche et un boulot ennuyeux, la vie routinière de Soane en métropole est surtout régentée par ses relations conflictuelles avec d’autres personnages partageant ses origines. C’est essentiellement dans la représentation de leur code d’honneur, limité à la loi du plus fort, que le scénario s’engouffre dans la caricature qui frôle l’imagerie postcoloniale qu’il aurait pourtant voulu contrebalancer. Des individus tous battis comme des armoires à glace et n’ayant que la violence comme moyen d’expression, peut-on concevoir stéréotype plus réducteur ? Et ce n’est pas le jeu de Toki Pilioko (vrai rugbyman mais acteur amateur) qui va permettre à son rôle de s’assurer une quelque profondeur psychologique qui rendrait son personnage émouvant. Au contraire, ce bloc de muscle inexpressif participe à la superficialité du long-métrage en affichant la même neutralité quand il roue de coups un coéquipier méprisant que quand il demande sa copine en mariage… l’effet Koulechov a ses limites !

La véritable qualité du film, et c’est là que l’on ressent le passif du réalisateur dans le domaine du documentaire, est la justesse de la mise en scène, aisément qualifiable de naturaliste, dès lors qu’il s’agit de filmer les décors dans lesquels a lieu son récit. Exemple le plus flagrant, le squat où vit, à Nouméa, la famille de Soane échappe à cette image d’Epinal teintée d’exotisme qui colle aux basques de ses habitants. Idem pour les vestiaires de l’équipe, où règnent la tension et le malaise, jusqu’à ce que les dialogues, et en particulier le haka entrepris par Soane, renvoient chacun des personnages à l’archétype qu’il est, brisant aussitôt la sincérité de la réalisation. Le recul de la caméra sur l’action est également flagrant dans le manque d’intensité avec laquelle sont filmées les rares scènes de rugby, privées du pouvoir cinégénique auquel ce sport devrait pouvoir prétendre.

Vraisemblablement handicapé par ses difficultés à dessiner des individus crédibles ainsi qu’à mettre en place une intrigue novatrice et la mener jusqu’à son terme, Sacha Wolff se contente de nous faire suivre un personnage opaque et peu attachant comme vecteur de découverte d’un microcosme sportif vérolé par le dopage et la corruption. Le dispositif est louable mais trop mal exploité pour ne pas en sortir persuadé qu’un documentaire eut été plus approprié.

Mercenaire : Extraits

Mercenaire : Fiche technique

Réalisation : Sacha Wolff
Scénario : Sacha Wolff
Interprétation : Toki Pilioko (Soane), Iliana Zabeth (Coralie), Mikaele Tuugahala (Sosefo), Laurent Pakihivatau (Abraham)…
Lumière : Samuel Lahu
Montage : Laurence Manheimer
Son : Julien Sicart
Compositeur : Luc Meilland
Maquillage : Simon Livet
Production : Remi Burah, Olivier Père
Festival et récompenses : Label Europa Cinemas à la Quinzaine des Réalisateurs 2016 et nomination au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2016
Distribution :  Ad Vitam
Genre : Drame
Durée : 104 minutes
Date de sortie : 5 octobre 2016

France – 2016

 

Rédacteur