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Les Jeunes Amants de Carine Tardieu : s’aimer jusqu’aux fantômes

Si dès la lecture du titre, Les Jeunes Amants respire et rappelle les amoureux des bancs publics, c’est dans la douleur que sa réalisatrice, Carine Tardieu reprend le projet de Solveig Anspach, partie à 54 ans du cancer qu’elle évoquait dans un de ses plus films les plus reconnus, Haut les coeurs, en 1999. Trois ans plus tard, déconstruit puis recomposé, le récit très autobiographique est celui d’une relation défiant les conventions de la comédie romantique.

Résumé : Shauna, 70 ans, libre et indépendante, a mis sa vie amoureuse de côté. Elle est cependant troublée par la présence de Pierre, cet homme de 45 ans qu’elle avait tout juste croisé, des années plus tôt. Et contre toute attente, Pierre ne voit pas en elle “une femme d’un certain âge”, mais une femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer. A ceci près que Pierre est marié et père de famille. 

De si beaux esprits

Une belle idée devenue réplique marque le prologue de ce film mettant en scène la rencontre de ses deux amants, dans un hôpital. Pierre, le médecin, veille l’amie de Shauna, mourante. Elle, dans l’attente d’un dernier soupir, désemparée, erre dans les couloirs. Il vient donc la voir, ils discutent : devant la chambre, il lui lâche quelques mots se résumant ainsi « pour l’instant, nous respirons le même air, alors nous allons en profiter ensemble ». Quand Shauna s’évapore, quelques plans plus tard, elle a oublié une photo dans le dossier médical de Pierre, qui la gardera des années. Ces scènes sont justement celles qui ont été réécrites, rajoutées au premier jet du scénario. Carine Tardieu raconte alors que sur le point d’avoir un enfant, elle voulait apporter à ce film une note plus positive que ce qu’elle avait lu au premier abord. Et ces absences entêtantes, très cinématographiques ici, sont celles qui matérialisent la naissance d’un sentiment.

La nuit américaine

Dans sa maison de bord de mer irlandaise, Shauna revoit Pierre des années plus tard, dont elle ne se rappelle plus du tout. Tout comme lui, le spectateur peut être désemparé : pour eux deux, c’était hier. Est-elle malade? Feint-elle l’évidence? C’est après coup que nous percevons que ce récit nous place dans la position de l’amant pour mieux nous embarquer dans cette histoire romantique, sans prendre le temps de laisser une question s’y poser. L’orgueil blessé d’un sentiment est terrible : il l’amène à creuser, à questionner sans cesse pour retrouver ce qui lui a donné vie, un jour. Hébergé pour une nuit dans cette maison branlante, Pierre sort en pleine nuit, cherche Shauna et lui parle, lui rappelle tout, lui rend la photo oubliée. Ici naissent les histoires, dans une superbe nuit américaine, cette nuit née d’une journée, une des techniques cinématographiques les plus belles à mettre en scène et pourtant si difficile à réaliser. Quelque chose finalement d’aussi fragile que la romance dont nous venons de voir la naissance.

Fantômes contre fantômes

En choisissant l’iconique Fanny Ardant pour convoquer les beaux fantômes de la Nouvelle Vague, Carine Tardieu confronte son film à tout un passé de romantisme dans le cinéma français, celui-là même qui osa aborder en son temps tous les sujets clivants. La différence d’âge, déjà dans Mourir d’aimer, d’André Cayatte en 1971, mais aussi l’adultère, dans La peau douce, en 1964. Fanny Ardant, ce sont des souvenirs de cinéma de François Truffaut, dès 81 avec la femme d’à côtéCertains spectateurs les convoqueront, les autres ne se poseront peut-être pas autant de questions. Et tous ne verront plus la différence d’âge comme un sujet, car si souvent les hommes ont convolé avec des femmes plus jeunes au cinéma, de n’importe que James Bond en passant par Pretty Woman, sans jamais relever de commentaires, ici quand la situation se renverse, c’est toute une rééducation qui s’opère, avec beaucoup de savoir-faire. Il y a un défi cinématographique à relever ici, tout autant que la question sociétale formulée par Jeanne, la femme de Pierre tombant amoureux d’une femme plus âgée que lui : « mais enfin, c’est une vieille dame » lâche t-elle, aussi triste que méchante.

De personnages en personnes

Si Les Jeunes Amants est aussi généreux avec ses personnages, nourri par les performances de comédiens aussi touchants les uns que les autres, c’est peut-être aussi pour redonner corps à ces oubliés des grandes histoires, de tous les Roméo et Juliette venus faire un tour sur les écrans. Derrière ces amoureux, des familles, des délaissés et des amis ont souvent été mis de côté, méprisés par les grandes scènes d’empoignade. Donner ainsi à ces personnages secondaires l’enveloppe nécessaire pour exister, c’était un des choix du script, courageux, ne jugeant rien ni personne car il doit faire avec cette histoire un peu folle qui dépasse tout le monde. Ce film pour les autres rappelle qu’à chaque rencontre amoureuse, la raison s’ignore, pas les sentiments : il a le coeur pour tous les mettre en scène.

Bande annonce

Fiche technique

Réalisation : Carine Tardieu
Scénario : Agnès de Sacy, Carine Tardieu, Sólveig Anspach, Raphaële Moussafir, d’après une idée originale de Sólveig AnspachProduction : Patrick Sobelman
Production délégué : Antoine Rein, Fabrice Goldstein
Image : Elin Kirschfink
Décors : Jean-Marc Tran Tan Ba
Musique originale : Éric Slabiak
Son : Ivan Dumas
Montage : Christel Dewynter
Direction de production : Marianne Germain
Costumes : Isabelle Pannetier
1er assistant réalisation : Mathieu Vaillant

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