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Le passé d’Asghar Farhadi : Critique du film

Le passé d’Asghar Farhadi : Cinéma sans fards et peinture réaliste de l’âme

palme d'orAprès quatre années de séparation, Ahmad (Ali Mosaffa) quitte Téhéran pour Paris, à la demande de Marie (Bérénice Béjo), son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Marie souhaite refaire sa vie avec un jeune homme Samir (Tahar Rahim), lui même partagé entre son nouvel amour et la mère de son fils, plongée dans le coma. Lors de son séjour, Ahmad découvre les relations tendues qu’entretient Marie avec sa fille, Lucie (Pauline Burlet). Les efforts d’Ahmad pour tenter d’améliorer cette relation lèveront le voile sur un lourd secret du passé… Ce film est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2013.

Après le succès légitime de ses deux premiers longs métrages, A propos d’Elly (2009) et surtout Une séparation (2011), Asghar Farhadi signe ici son premier film français tout en gardant en toile de fond ses thèmes de prédilection. En effet, ce n’est pas l’action qui intéresse le réalisateur iranien, mais bien plus les tourments de la psychologie humaine, la déchirure entre les hommes, le divorce, et les conflits familiaux. Le passé nous plonge ainsi dans un huit clos dramatique au scénario kafkaïen et maitrisé, une ambiance lourde mais stylisée, où tous les spectateurs s’adonnent à une psychologie sombre et manipulatrice liée au conflit des secrets. L’histoire se déroule dans le quartier populaire de Paris, bien éloigné des clichés et des cartes postales : un pavillon triste d’une morne banlieue, près de la voie ferrée et au jardin aussi désordonné que l’existence des protagonistes. La photographie magnifie la pluie et accentue l’impression de danger que ressent le spectateur. Les liens entre les personnages sont tous soumis à un dilemme, entre les doutes, la gêne, les mensonges, plongeant le spectateur au cœur d’une tragédie inexorable.

L’interprétation des acteurs, petits et grands, est d’une grande justesse et suscite d’emblée l’empathie envers ces personnages qui se démènent dans la complexité de leurs vies affectives. Berenice Bejo (Marie) joue le rôle poignant d’une mère dominatrice et destructrice dans ses relations intimes avec les hommes, aux accents bien plus graves que ceux la révélèrent dans The Artist (2011). Le spectateur plaint surtout les enfants qui souffrent des errances de ces adultes paumés et désorientés. On saluera au passage la prestation éblouissante du jeune Elves Aguis (Fouad), le fils de Tahar Rahim (Samir) dont la rébellion cache une souffrance réelle et légitime face à un monde d’adultes qui se déchirent, ainsi que celle de Pauline Burlet (Lucie) au rapport tendu avec sa mère, cachant un lourd secret. La première grande qualité du film découle du choix judicieux du réalisateur iranien d’éviter l’écueil facile et redondant de la différence culturelle. A aucun moment la religion de l’ex-mari iranien, interprété par un Ali Mosaffa (Ahmad) sublime et bouleversant, véritable révélation de ce film, ne vient parasiter l’histoire. Au contraire, ce dernier devient le catalyseur, le confident au sein de cette famille qui n’est plus tout à fait la sienne. Comme dans Une séparation, chacun a ses raisons, chacun souffre et adopte tour à tour un comportement maladroit ou blessant. Farhadi ne juge pas ses personnages mais démontre avec intensité comment coexistent en nous le meilleur et le pire, comment la déception, le sentiment d’abandon et l’enfermement fertilisent le terreau de la rancœur et de l’incompréhension entre les êtres. Comme toujours, outre la mise en scène impeccable, la réalisation d’Asghar Farhadi est simple, et la direction d’acteurs, une vraie leçon de cinéma. Le spectateur ne peut qu’apprécier cette peinture réaliste, sans fards, extrêmement subtile des relations entre les personnages

Le passé devrait servir à construire l’individu et non l’entraver. Les deux hommes, le premier marié, rongé par la culpabilité, toujours relié à sa femme dans le coma, ou l’autre séparé mais toujours aimant, témoignent de l’impossibilité de s’affranchir de son vécu et de vouloir tout effacer d’un coup de baguette magique. Il est en effet difficile de quitter pour reconstruire. Le passé est parcouru par une tension inouïe, qui s’exprime dans la puissance de chaque situation, chaque dialogue. Avec Farhadi et ce cinéma hyper-tendu, nous ne sommes jamais très loin du thriller. D’ailleurs l’histoire elle-même ne semble pas totalement résolue mais se conclue par une touche artistique de toute beauté.

Grand portraitiste de l’âme humaine, Asghar Farhadi nous livre un film d’auteur intense et profond, sincère et bouleversant. Le Passé atteint l’essence même du cinéma : de l’émotion, du suspens et, surtout, beaucoup d’amour. Ce film est notre miroir, il nous dépeint tels que nous sommes avec nos failles, nos secrets. Il renvoie chacun à ses propres interrogations sur le problème la de communication entre les êtres, la dialectique entre la vérité et le mensonge, le pouvoir et les limites de la rédemption, la confusion des sentiments. A Cannes, Le passé mériterait a minima le prix du meilleur scénario ou un de ceux de la meilleure interprétation, tant ces deux aspects sont ici maîtrisés avec brio et retenue.

Le Passé d’Asghar Farhadi : Bande-annonce

Le Passé d’Asghar Farhadi: Fiche Technique

Réalisation: Asghar Farhadi
Scénario: Asghar Farhadi
Interprétation: Bérénice Bejo (Marie), Tahar Rahim (Samir), Ali Mosaffa (Ahmad), Pauline Burlet (Lucie), Elyes Aguis (Fouad), Jeanne Jestin (Léa), Sabrina Ouazani (Naïma), Valeria Cavalli (Valeria), Babak Karimi (Shahryar)…
Image: Mahmoud Kalari
Son: Dana Farnazehpour, Thomas Desjonquères, Bruno Tarrière
Montage: Juliette Welfling
Musique: Evguéni Galpérine, Youli Galpérine
Production: Alexandre Mallet-Guy
Distributeur: Memento Films Distribution
Durée: 2h10
France – 2013

Casting Le Passé d’Asghar Farhadi en image