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Le Ciel rouge, de Christian Petzold : itinéraire d’un homme tourmenté

Beatrice Delesalle Redactrice LeMagduCiné

Le Ciel rouge, de  Christian Petzold, est peut-être le deuxième film d’une nouvelle trilogie, sur les éléments cette fois, à la suite d’autres trilogies émaillant son œuvre. Après l’eau de Ondine, le feu couve ici, puis explose dans la nature et dans le cœur des hommes, avec le regard toujours acéré du cinéaste.

Synopsis :  Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n’a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s’enflammer, tout comme leurs émotions.

Le cinéaste allemand Christian Petzold nous comble souvent. C’était le cas avec des films comme Barbara, Phoenix ou Ondine ; c’est encore le cas avec Le Ciel rouge, un film dans la droite lignée de ce qu’il sait si bien faire : une histoire minimaliste, un drame en toile de fond (ici, les incendies de forêt, et son corollaire le réchauffement climatique), des acteurs avec une forte présence, ou encore une fluidité d’image due à une collaboration de plus de 30 ans avec son directeur de la photographie Hans Fromm.

Labellisé un peu rapidement film d’été, Le Ciel rouge est en réalité nourri de bien plus de dimensions. Il est vrai que le choix de la mer Baltique, tout au nord de l’Allemagne, apporte immédiatement cette atmosphère estivale un peu saturée, qui caractérise certains films dits d’été, évanescents, à la Rohmer. Entre parenthèses, ce choix, qui se porte plus précisément sur l’ancienne partie est-allemande de la côte, est également un des marqueurs du cinéaste. Ce dernier n’oublie jamais de parler de son Allemagne chérie sous un aspect ou un autre, ici un hommage à la RDA avec le choix de ce Land, l’évocation de Uwe Johnson, un écrivain transfuge de l’Est, ou une petite raillerie sur la propension des anciens est-allemands à adopter des prénoms américains à l’écriture hasardeuse (il y a un Devid dans le film), cette Amérique qui nourrissait leurs rêves.

Le film commence avec des accents pseudo-horrifiques. Leon  (Thomas Schubert) et Felix (Langston Uibel) traversent une forêt sombre et silencieuse dans une Mercedes rouge. Felix, le conducteur, annonce que quelque chose ne tourne pas rond. Son voisin endormi se réveille en sursaut, passablement ennuyé. Le moteur explose, et en dernier recours, Felix se propose d’aller en reconnaissance trouver un raccourci à travers la forêt vers leur destination, une maison de vacances isolée appartenant à ses parents. Il revient, les personnages emportent  leurs bagages sur les épaules, l’un en sautillant presque (Felix), l’autre en bougonnant (Leon).

Mais le cinéaste met vite de côté ces marqueurs de films d’horreur pour entrer dans le vif du sujet. Leon et Felix veulent s’isoler ici quelques temps pour avancer dans leur projet respectif : le premier termine son deuxième roman, d’une manière acharnée mais paradoxalement peu convaincue ; le deuxième prépare un portfolio pour concourir aux Beaux-Arts, d’une façon plutôt dilettante bien qu’assez efficace. Leon est mal dans sa peau, engoncé dans un corps qu’il dissimule, tourné vers l’intérieur de lui-même, jamais content, très peu sûr de lui.  Felix est au contraire un extraverti, un garçon positif et lumineux. Lorsqu’ils découvrent, tels les nains de Blanche-Neige, qu’ils ne sont pas seuls dans la maison de vacances, la tension engendrée par l’attitude de Leon est à son comble. Nadja (Paula Beer, intense comme jamais), la mystérieuse colocataire, s’avère radieuse et amicale autant que Leon est renfrogné. Elle se fait connaître des deux autres d’abord par ses ébats nocturnes et bruyants, évidemment trop bruyants pour Leon. Plus tard, elle et son partenaire s’amusent avec Felix, pendant que Leon décline toutes les invitations, car le « travail ne le permet pas », ainsi qu’il le ressasse sans arrêt, et sans justification puisqu’il passe plus son temps à fouiner qu’à travailler. Et plus la magnétique Nadja l’attire, plus sa réponse est abrupte.

Bien que les protagonistes ne soient pas des adolescents, le film est une sorte de coming of age, d’éveil. Divers sentiments plus ou moins naissants sont montrés par Christian Petzold, au risque d’ailleurs de se perdre un peu (sans parler des incendies de forêt, pourtant à l’origine du titre, qui ne sont évoqués que de manière anecdotique), mais ce sont les ressentiments de Leon qui dominent. Ils sont pénibles, dramatiques ou doloristes, mais ils sont aussi la source d’une vraie veine comique qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer chez le cinéaste. Une insécurité si bien décrite qu’on peut se demander si elle ne touche pas son auteur, scénariste de ses films, d’une certaine façon.

Dans l’ensemble, on peut affirmer que Le Ciel rouge est un long-métrage plus accessible que les autres de Christian Petzold, et qu’une forme de légèreté ne nuit pas à son travail ; cependant, on aurait aimé un film plus rassemblé. Mais le réalisateur construit une œuvre cohérente (n’était-ce pas Rohmer, déjà, qui parlait de cohérence), solide et agréable à suivre. Fort de son Ours d’argent à Berlin, il n’est sans doute pas près de s’arrêter. Pour notre plus grand plaisir.

Le Ciel rouge– Bande annonce

Le Ciel rouge – Fiche technique

Titre original : Roter Himmel
Réalisateur : Christian Petzold
Scenario : Christian Petzold
Interprétation : Thomas Schubert (Leon), Paula Beer (Nadja), Enno Trebs (Devid), Langston Uibel (Felix), Matthias Brandt (Helmut)
Photographie : Hans Fromm
Montage : Bettina Böhler
Producteurs : Anton Kaiser, Florian Koerner von Gustorf, Michael Weber Maisons de Production : Schramm Film Koerner & Weber, ZDF/Arte, Zweites Deutsches Fernsehen (ZDF)
Distribution (France) : Les Films du Losange
Durée : 102 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 06 Septembre 2023
Allemagne – 2023

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Redactrice LeMagduCiné