Le Cancre, un film de Paul Vecchiali : Critique

Synopsis : Laurent cherche sa voie, ayant vécu son enfance et son adolescence dans la paresse. Il traverse des moments conflictuels avec Rodolphe, son père : l’un et l’autre sont trop émotifs pour s’exprimer leur tendresse. Rodolphe, autour duquel gravitent les femmes de sa vie, n’a qu’une obsession : retrouver Marguerite, son premier amour…

« Même si, bien naturellement, je ne détiens pas la vérité, je dis ce que je pense. Oui, je trouve le jeu de Daniel Auteuil vide et sans aspérités. Oui, je trouve que le cinéma d’André Téchiné s’assimile à du « copier-coller », qui emprunte beaucoup trop à d’autres cinéastes. Oui, c’est vrai, Patrice Chéreau est pour moi un artiste Canada Dry auquel il manque l’essentiel : l’émotion, la passion…  » Paul Vecchiali (2012 – Corse Matin)

Un pirate à l’oxymore facile

D’origine corse, le cinéaste titré d’indépendant, a commencé, après avoir été diplômé en polytechnique en 1955, auprès des Cahiers du Cinéma et de La Revue du Cinéma dans lesquels il ne cache pas sa passion pour Robert Bresson, Jean Grémillion et Max Ophüls (le cinéma français des années 30). En 1976, avec sa nouvelle maison de production Diagonale, il collabore avec Jean Eustache. Auteur d’une cinquantaine de films, abordant les thèmes du sida, de la sexualité (homo, bi ou asexué), de la peine de mort et de la religion et ami de Jacques Demy, il acquiert déjà la sympathie de François Truffaut grâce à son 2ème long métrage en 1965 Les Ruses du diable.  L’icône de la nouvelle vague déclarera alors que Vecchiali est le « seul héritier de Jean Renoir. » (pourtant, il revendique Renoir, Delannoy, Clouzot ou Guitry comme des fausses valeurs*). Son cinéma est qualifié « d’expérimental », auquel il a toujours préféré le terme de recherche, et a toujours été revendiqué à connotation autobiographique. Vidéaste, réalisateur de documentaires et téléfilms, écrivain, essayiste, auteur et metteur en scène, les casquettes du quinquagénaire sont nombreuses, sans oublier son caractère provocateur. Il se fait appelé Rodolphe, père bougon et célibataire d’un certain Laurent de bientôt quarante ans. Il se met à la recherche des femmes qui ont marqué sa vie jusqu’à retrouver Marguerite, son premier amour.

Ouvrant sur un plan fixe d’une mer aux remous calmes, Le Cancre, sélectionné hors-compétition au dernier festival de Cannes, est décrit par le cinéaste comme « une sorte de train, qui d’année en année, comme de gare en gare, emmène un homme vieillissant mais toujours amoureux ». Privilégiant les plans longs qui exprimeraient mieux, selon lui, les variations de tempérament et la conflictualité. L’homme de nature bourrue et renfrognée (pour avoir échangé avec lui) dégage cependant beaucoup de tendresse. Malgré son incapacité à l’exprimer, il affirme ne rien apposer d’autobiographique dans les thèmes qu’il aborde : « les difficultés larvées des petites entreprises, les rapports d’un père et d’un fils, la vieillesse et ses inconvénients, la fin de vie ». Pourtant, cette Marguerite, qu’il a retrouvé 70 ans après l’avoir aimée, a réellement existé et le film lui est dédié. Malheureusement, Le Cancre, d’une durée excessive, s’enlise dans une « implacable et sournoise » apathie. Comment le chef opérateur a-t-il pu prendre le moindre plaisir à cumuler autant de plans fixes sans d’autres mouvements que des pano suivis ou des travelling lents qui font penser à un exercice universitaire plus qu’à une réelle dynamique dramaturgique ? L’incompréhension est totale, seuls les aficionados de l’artiste trouveront l’enthousiasme à défendre le long-métrage ancré dans un statisme et un jeu d’acteurs propre aux années 30. Les dialogues, subtiles et acerbes, témoignent d’une véritable affection aux textes irrévérencieux d’un René Clair ou d’un Jacques Prévert, Jacques Feyder ou Marcel L’Herbier, mais les coquilles vides que sont chacun des personnages, exceptées Annie Cordy et Edith Scob cumulant 5 minutes d’apparition à elles-deux sur la durée entière, alourdissent le propos et dénaturent l’élan. Quel élan par ailleurs ? Traînant les pieds jusqu’à son propre reflet dans le fleuve, Narcisse a eu le mérite d’être agréablement surpris en se voyant. Faussement nombriliste et d’une poésie ankylosée, l’ennui fait rapidement place à la colère lorsque les deux personnages principaux ne se témoignent que les mêmes attentions, exagérément courtoises.

Le cinéma de Vecchiali ne cherche pas la superficialité d’un quelconque artifice cinématographique et vise, sans pudeur, directement l’essence du geste, de l’intention. Par une rigidité scénique, corporelle et d’intonation, qui causait autrefois l’attachement des premiers films d’Alain Guiraudie ou d’Eric Rohmer, Le Cancre se targue de minimiser les causes à effets. Et le dessein est honnête, trop sincère presque, mais le rendu est austère et disgracieux. L’empathie est annihilée par l’intransigeance de la mise en scène aux accents trop amateurs pour un film de fin de carrière, et par l’incohérence brutale du relationnel. Les relents fantastiques, comiques, « musicalesques » engoncent le motif. Nous ne demandons pas à Vecchiali de nous proposer du Jaoui/Bacri, mais de faire l’effort au moins d’être soi-même atteint par la beauté simple d’un paysage, couché de soleil ou autre détail naturel. Non le détail est inutilement centré sur la bande sonore acousmatique, en inéquation avec l’action, mais retranscrivant l’intériorité du personnage. C’est ainsi que le bruit des vagues revient relativement souvent sur une douleur de tête surjouée ou le tic-tac d’une horloge à pendule pour meubler un besoin sur-signifiant.

Inclinons-nous devant le parcours atypique de cet artiste qui n’hésite pas à inclure des thèmes dits « dérangeants » dans sa gestion de l’espace comme des sentiments. Mais le défi de rester extatique serait une injure. L’homme qui n’aimait rien, sublimant le paradoxe et allant à contre-courant, hors star-system et grosse production, est, cependant il faut l’admettre, un des plus inventifs cinéastes français. Il est déplorable de pâlir devant tant de raideur, un rejet de l’émotion et une théâtralité figée. N’est pas fossoyeur qui veut et déterrer d’anciennes formules sans les actualiser ou du moins les contextualiser est d’une lâcheté extrême. Faire du conventionnel avec de l’inconventionnel, c’est un comble. Encore impossible de statuer sur le génie ou le suranné. Le cancre réussit son pari, avare, rapace et haïssable. Le vieillard sans moyen, ni sans fortune ne touchera que peu de spectateurs. Reste à connaître la raison de ce pied de nez cinématographique…

* Paul Vecchiali, L’Encinéclopédie. Cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre : la passion du cinéma », Le Monde Livres,‎

Le Cancre : Bande annonce

Le Cancre : Fiche Technique

Réalisation : Paul Vecchiali
Scénario : Paul Vecchiali et Noël Simsolo
Interprétation : Catherine Deneuve (Marguerite), Paul Vecchiali (Rodolphe), Mathieu Amalric (Boris), Édith Scob (Sarah), Françoise Arnoul (Mimi), Annie Cordy (Christiane), Françoise Lebrun (Valentine), Pascal Cervo (Laurent), Noël Simsolo (Ferdinand)
Image : Philippe Bottiglione
Montage : Vincent Commmaret
Musique : Roland Vincent
Producteur : Paul Vecchiali, Thomas Ordonneau
Société de production : Shellac Sud, Dialectik
Durée : 116 minutes
Genre : drame
Date de sortie : 05 octobre 2016

France – 2016