Qu’est-ce que le singe peut apprendre de l’Homme et que peut apprendre l’Homme du singe ? Il s’agit d’une boucle de réflexion sans fin pour une franchise qui ne semble pas avoir dit son dernier mot. La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume est le premier volet d’une nouvelle histoire sous la tutelle de Disney. Une initiative qui divertit à peine, à force de rallonger son exposition et à freiner ses envolées dramatiques. Un début de trilogie qui inquiète, mais qui colmate les brèches avec un savoir-faire esthétique, durement acquis et revendiqué sans réserve.
Synopsis : Plusieurs générations après le règne de César, les singes ont définitivement pris le pouvoir. Les humains, quant à eux, ont régressé à l’état sauvage et vivent en retrait. Alors qu’un nouveau chef tyrannique construit peu à peu son empire, un jeune singe entreprend un périlleux voyage qui l’amènera à questionner tout ce qu’il sait du passé et à faire des choix qui définiront l’avenir des singes et des humains…
Son pédigrée atteste d’une certaine constance sur la saga Le Labyrinthe, quoi qu’on en dise sur ses faiblesses évidentes. Ayant déjà signé pour réaliser le live-action à venir de The Legend of Zelda, le cinéaste floridien s’est lancé un défi des plus audacieux alors qu’un retour sur la planète des singes n’était pas nécessaire. Le film original de Franklin Schaffner a donné lieu à des suites souvent maladroites dans la réalisation, mais elles ont néanmoins le mérite de développer de nouvelles réflexions sur l’héritage de l’humanité, à commencer par sa violence, la véritable source inépuisable du mal. Tim Burton en a ensuite proposé une vision gothique, peu appréciée mais plus en phase avec le roman de Pierre Boulle avant qu’on ne lance une nouvelle boucle sur la chute de l’humanité. Andy Serkis a été le visage emblématique de la trilogie (Les Origines, L’Affrontement, Suprématie), ponctuée par des prouesses esthétiques exceptionnelles. Que pouvons-nous attendre de la nouvelle (et non la dernière) itération de cette fameuse planète des singes ? Que reste-t-il à dépoussiérer pour que l’on évoque spécifiquement la mémoire de César ?
Un royaume d’apprentissage
L’espèce dominante reste celui qui tient le bâton électrique à la main et on n’attendra pas très longtemps pour que ce rappel pousse Noa (Owen Teague) dans une quête initiatique. Il est un fils et un ami qui doit prouver sa valeur, tout en apprenant à connaître ses nouveaux ennemis. Il ne tarde pas à croiser la route d’un gardien de la mémoire de César, à présent devenu une légende scandée avec vigueur, mais sans connaissance de cause. Les valeurs de ce patriarche révolutionnaire manquent d’être immortalisées dans les livres, alors chacun se console avec sa vision altérée de la justice. Tout l’enjeu de Noa sera de questionner ces valeurs au sein des mœurs qu’il découvre peu à peu lors de sa mission de sauvetage. Arraché à ses terres et ses rituels, son peuple attend donc qu’il vienne les secourir d’un déluge qui s’annonce imminent.
Cette catastrophe va de pair avec l’humaine qui se joint à sa quête. On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace, c’est bien connu. On se joue pourtant de nous à travers un personnage qui ne recule pas devant ses convictions. Freya Allan prête ainsi sa silhouette et son regard inquiet à une jeune femme que l’on surnomme (au hasard) Nova. Sa présence extraordinaire justifie ainsi une dualité grandissante face à Noa, dont la naïveté s’efface au fur et à mesure qu’il trébuche. Vivant autrefois d’une honnêteté exemplaire, ce dernier doit faire face à la perfidie de ceux qui dirigent ce nouveau monde.
L’Arche de Noa
Par-delà les territoires des aigles, une communauté se voile la face, à l’image d’un guide spirituel qui règne par la peur, qui cherche de quoi amplifier son emprise et étendre son empire. Proximus César (Kevin Durand) évoque autant un titre d’usurpateur qu’un tyran déjà vaincu par un manque de charisme évident. Réduit à l’état d’accessoire, il parvient rarement à représenter une menace pour les héros, qui semblent pouvoir se balader à leur guise dans ce qui ressemblait de prime abord à un pénitencier. Ce leader autoproclamé n’a donc pas grand-chose à défendre, si ce n’est une soif de connaissance. Malheureusement, elle semble se limiter à l’histoire de l’empire romain (au cas où la référence nous aurait échappé) et au deuxième amendement de la Constitution des États-Unis. C’est pourtant là que devrait se trouver le propos du film, à savoir comment créer une société et comment instaurer un art de vivre ? L’escouade composée de quatre scénaristes ne semble pas motivée pour y répondre et noie les principaux axes de réflexion dans de perpétuels bavardages, dont nous aurions pu nous passer. Et en plus d’hériter d’un scénario très bancal, le film est long. Long à amorcer et long à conclure.
C’est toute la tragédie de ce genre de projet, pensé en amont comme une trilogie et qui, certes, permet d’affiner l’utilisation de la motion capture, mais qui ne délivre pas toute la tension dramatique que le film souhaite exploiter. La photographie des ruines d’une ancienne civilisation est remarquable, bien qu’elle ne soit pas toujours au contact et au service des primates numériques dans la seconde partie. Et on n’a de cesse de miser sur les partitions et réorchestrations de John Paesano afin de surligner ces rendez-vous manqués entre le spectateur et les personnages. Leurs relations sont suffisamment pathos pour que l’on passe à côté de la cohésion des singes ou jeu de miroir volontaire avec les derniers bipèdes sur Terre. Tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour affirmer, avec une autorité glaçante, que l’humanité actuelle serait le chaînon manquant, rempli d’imperfections et de mutations irrégulières.
Théorie d’une régression
« Le message est que plus nous apprenons, plus nous devenons maîtres de notre pensée. » Wes Ball suit en effet un credo honorable, mais qui reste en surface de ce qui est proposé à l’écran. En témoigne le personnage de Nova, qui atteint une complexité séduisante au bout du tunnel. L’humanité reste toujours aussi dépendante de sa technologie, mais cette thématique, doublée d’une ambivalence morale sur une éventuelle cohabitation entre deux espèces qui se regardent en miroir, se manifeste si tard que cela en devient frustrant.
Si on prend un certain plaisir à cogiter sur les valeurs que cultivent les différents protagonistes primates, notamment la réappropriation de l’histoire de l’Homme, on reste encore sur notre faim côté divertissement. La mise en place de ce nouvel univers prend bien trop d’espace pour que Noa et les siens puissent pleinement exister dans cette intrigue, trop soucieuse d’émietter des références très peu subtiles afin d’honorer les fans de la première heure. En ayant joué le jeu à moitié, La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume ne pouvait pas espérer fédérer toute son audience avec aussi peu d’entrain. En espérant que la suite ne tombe pas dans les mêmes travers.
Bande-annonce : La Planète des Singes – le Nouveau Royaume
Fiche technique : La Planète des Singes – le Nouveau Royaume
Titre original : Kingdom of the Planet of the Apes
Réalisation : Wes Ball
Scénario : Patrick Aison, Josh Friedman, Rick Jaffa, Amanda Silver
Musique : John Paesano
Direction artistique : Carlo Crescini, Tony Drew, Ian Gracie et Dale Mackie
Décors : Daniel T. Dorrance
Costumes : Mayes C. Rubeo
Photographie : Gyula Pados
Son : Ben Cowman, Mario Gabrieli, Vinii Khullar, Todd Moore et Mark van Kool
Montage : Dan Zimmerman
Production : 20th Century Studios, Disney Studios Australia
Distribution France : The Walt Disney Company France
Pays de production : États-Unis, Australie
Genres : science-fiction, action, aventure
Durée : 2h25
Date de sortie : 8 mai 2024