Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc ou Jeannette, pour les intimes. Vous la connaissiez en symbole national, ou en héroïne d’un obscur film de Luc Besson. Mais vous ne la connaissiez pas enfant, dansant sur du Breakcore.
Synopsis : En pleine guerre de Cent Ans, au cœur d’une lande déserte, vit Jeanne et sa famille. Cette dernière a une haute conscience de la France et, a contrario du défaitisme de ses contemporains, elle est persuadée de la victoire prochaine des Français sur les Anglais. A tel point qu’à force de prières et de rencontres , la jeune Jeannette s’invente une destinée mystique, dans laquelle c’est à elle qu’il incombe de sauver le Royaume de France.
Au générique de Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont, on peut voir un détail qui n’a certainement pas échappé aux fans de musique les plus ardus : la présence de Igorrr à la bande-son.
Ce nom, aux allures de patronyme mal orthographié, est en fait le nom de scène de Gauthier Serre, compositeur sévissant dans l’hexagone depuis 2010. L’individu maîtrise un style bien à lui, que d’aucun qualifierait de techno-baroque. Assez difficile en fait d’y donner un nom précis, puisqu’il s’agit d’un mélange de breakcore, de death metal, de musique baroque et de trip-hop. En somme, un mix entre passé / présent, classique / underground.
Et pourquoi une telle digression musicale sur une critique cinéma ? Mais parce que la musique dans Jeanne d’Arc est indissociable du film lui-même. Au point que c’en serait presque une déclaration d’amour de Dumont à Igorrr, tant l’image du premier magnifie la musique du second.
A commencer par le décor. Une forêt. Des plaines, quelques vagues habitations. L’enfance de Jeanne d’Arc semble s’être passée dans un monde presque désert, peuplé seulement d’herbes folles et de fantômes. Difficile avec pareil décor, de se croire dans une reconstitution. Les landes de la côte d’Opale n’auraient pas été filmées de différente si elles avaient été un paysage de science-fiction. Or, à défaut d’en être un, l’épuration des décors nous renvoie déjà à un trip surréaliste.
Une épuration complétée par les corps, sculpturaux, dansants et saccadés des personnages. On peut ainsi voir une Jeanne d’Arc enfant danser sous des rafales de techno, comme elle le ferait à une rave-party. Une danse stylisée des corps qu’on doit au chorégraphe du film, Philippe Decouflé.
Les passages du film s’enchaînent ainsi sous la forme d’une balade endiablée où techno, prose rimée et jeu balbutiant des acteurs, défilent sur cette lande où le temps n’existe pas. Quoique, pas pour le spectateur. Car, si le film Jeannette est beau en tant qu’objet, fascinant même, en tant que film, il est tout de même un peu long. La répétition d’actions et de dialogues par ces acteurs qui dansent mieux qu’ils ne chantent (ouch) rendent le spectacle lassant vers la seconde moitié du film.
Mais cette répétition, c’est aussi une part intégrante de cette chirurgie qu’opère Dumont sur tout son film. Elle tend en effet à faire du « Mystère de la charité de Jeanne d’Arc » dont est tiré le scénario, une sorte de transe techno. Le Breakcore étant un son porté sur la rupture, c’est encore cette rupture qu’on ressent lorsque les paroles d’un poème moyenâgeux viennent se greffer sur les décibels.
Un essai audacieux donc. Mais, à la façon des Headbanging de Jeanne d’Arc, il paraîtra un peu tiré par les cheveux à celui venu assister au film vendu par les campagnes de pub : un film historique aux accents de comédie musicale. On ne trouve pas plus de comédie dans ce film qu’on y trouve d’acteur professionnel.
Jeannette en somme, c’est plus un objet qu’un film. Un objet mais avant tout, un objet audiovisuel. Un objet très complet, puisque réunissant à la fois danse, chant, poésie, musique et photographie. Le tout fusionné dans ce trip endiablé et inclassable. Inclassable, au point que la touche « Dumont », semble ici quelque peu retirée…
On reconnaît pourtant ces décors du Nord très propres à sa filmographie. On reconnaît encore cet aspect froid et frontal qui lui est, sinon habituel, quasi systématique. Mais ce cinéma, profondément formel et brut, paraît émoussé ici. Comme si le sculpteur s’effaçait devant sa sculpture. C’est que Bruno Dumont est, et reste avant tout, un cinéaste de la violence. Une violence qui s’imprime aussi bien dans la radicalité d’un Twenty Nine Palms que dans l’humour avec Ma Loute ou P’tit Quinquin. Cela passe par son choix de plans fixes et frontaux. Un choix qui, d’ordinaire dans sa filmographie, permet de confronter le spectateur durement à ce qu’il voit. Ici, rien de tout ça. Le montage formel de Dumont devient saccadé, sa frontalité ordinaire, mouvante. L’annonce, peut-être, d’une transformation chez le réalisateur de La Vie de Jésus et de Hors Satan.
Reste un film à voir pour l’essai qu’il représente. Mais une question se pose. Avec ce poème déclamant la gloire de la France, et cette jeune fille dansant sur une musique hautement anachronique, comment classer ce film ? Est-ce une œuvre ultra-patriotique, ou au contraire antipatriotique ? Peut-être les deux. Car si le symbole national est omniprésent dans ce film, la destruction de ce symbole semble lui tenir la main. Comme si, d’une certaine façon, le symbole et sa destruction venaient soudain de se rejoindre sur une pellicule, pour s’unir. Car, là où Jeanne d’Arc incarne le patriotisme et les valeurs d’une France conquérante, la techno à l’inverse, dans l’imaginaire collectif, semble plutôt représenter le nihilisme, la négation des valeurs. Par cette dichotomie, le film représenterait-il cette vieille idée d’équilibre entre le bien et le mal ? Ou, au contraire, comme le suggère le breakcore, de « rupture » entre deux mondes inconciliables ? Le mystère Jeannette reste entier.
Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc : Fiche Technique
Réalisation : Bruno Dumont
Scénario : Bruno Dumont d’après « Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc » de Charles Péguy.
Interprètes :
Directeur de la Photographie : Guillaume Desfontaines
Musique : Igorrr
Chorégraphie : Philippe Decouflé
Société de Production : Arte France, 3B Productions
Genre : Film Musical
Durée : 109 minutes
Auteur : Arthur Suldoch