« Bad Luck Banging or Loony Porn » : porno amateur pour film d’auteur

Ours d’or au dernier Festival de Berlin, Bad Luck Banging or Loony Porn est un film surprenant. Un film, ou plutôt une expérience. Une œuvre radicale mais avant tout essentielle.

Synopsis de Bad Luck Banging or Loony Porn : Emi (Katia Pascariu), une enseignante, voit sa carrière et sa réputation menacées après la diffusion sur Internet d’une sextape tournée avec son mari. Forcée de rencontrer les parents d’élèves qui exigent son renvoi, Emi refuse de céder à leur pression, et questionne alors la place de l’obscénité dans nos sociétés.

Du rire aux larmes (et inversement)

D’emblée, Bad Luck Banging se dévoile dans toute sa complexité : un film entre fable tragique et farce comique. Divisée en trois parties, s’apparentant aux trois actes théâtraux, l’œuvre nous entraîne dans l’envers du décor de la société roumaine actuelle. Le film, le huitième de son réalisateur, fait preuve d’une grande maîtrise, tant visuelle que scénaristique.

Il est quelque peu difficile de préciser le ton du film, tant il évolue constamment. Ne parler que de drame ou ne parler que de comédie serait en effet réducteur. Néanmoins, il est évident que le film est engagé et propose un regard personnel et hostile autour de la société roumaine. Une société enfermée dans des conventions risibles. Une société qui se croit chaste et irréprochable mais qui est en réalité vicieuse. 

Ainsi, la première partie est ancrée dans un Bucarest réaliste et contemporain, presque menaçant. Une partie critique des travers de la Roumanie d’aujourd’hui, qui plus est en temps de Covid. Ensuite, la deuxième partie est tel un abécédaire sociétal, dictionnaire anecdotique, glossaire amusant et analytique. Un montage intelligent qui défait avec un humour abrasif les conceptions de termes comme « fellation », « racisme » ou « viol ». La troisième partie est, quant à elle, une satire réelle aux allures dystopiques. Un chapitre de clôture absurde et, pourtant, qui porte un regard désillusionné sur le monde.

Doutes et remises en question d’un cinéaste/citoyen

C’est ce regard désabusé, en colère et sans concession qui est à l’origine de la force de Bad Luck Banging. Le regard acerbe de Radu Jude, le réalisateur. Mais également celui de Radu Jude, le citoyen roumain. Parce que Bad Luck Banging, conçu certes comme une grande farce, est en réalité une tragédie explosive. Le film, risible par moments tant il relève d’un non-sens intellectuel total, n’hésite pas à lâcher des vérités brutes et urgentes.

Sans doute que le caractère parfois cru du film choquera plus d’un. Ici, le politiquement correct n’existe donc pas. Finalement, pourquoi le devrait-il ? Comme le montre l’intégralité du film, la société roumaine est souvent misogyne, violente, raciste. Cette société qui se croit irréprochable. Radu Jude ne cherche pas à plaire : il constate. Il remet en question. Toujours avec intégrité et recul.

Avec le personnage principal du film, Emi, Radu Jude décrit ses propres déceptions. Certes, la situation du film est spécifique au genre du personnage. En effet, la sexualité des femmes fait l’objet de débats externes plus que celle des hommes. Toutefois, c’est en témoin privilégié et critique de cette appropriation sociale malvenue, qui sévit encore dans un trop grand nombre de pays, que Radu Jude se positionne. Finalement, de quoi est accusée Emi ? D’avoir partagé une sextape ou de ressentir du plaisir dans ses rapports sexuels avec son mari ? En un sens, l’obscénité n’est qu’un prétexte pour illustrer avec virulence l’absurdité des préjugés. 

Plus loin que le masque chirurgical, le masque social

La sortie au cinéma d’une pléthore d’œuvres filmées durant la pandémie a montré un intérêt d’ancrer les films dans le réel immédiat. Avec Bad Luck Banging, Radu Jude va encore plus loin en faisant du Covid un symbole. Au-delà du masque chirurgical, présent tout au long du film, il y a le masque social, plus difficile à discerner.

Les masques chirurgicaux portés dans la troisième partie rappellent l’aspect parodique du film. Ils soulignent l’artificialité des personnages secondaires, constitués comme des archétypes absurdes mais pourtant réels. Des personnages figés qui se cachent derrière des idées préconçues, à l’image de nos sociétés actuelles. Et à l’image de la société roumaine en particulier.

Il ne suffit plus d’être masqués pour que l’on découvre les vrais visages : parodiques et ridicules. Pourtant, si tout ce film n’est qu’une mauvaise blague, comme semble l’illustrer la fin, pourquoi sonne-t-il, malheureusement, si juste ?

Bande-annonce – Bad Luck Banging or Loony Porn

Fiche technique – Bad Luck Banging or Loony Porn

Réalisation : Radu Jude
Scénario : Radu Jude
Interprétation : Katia Pascariu (Emi Cilibiu), Claudia Ieremia (La directrice)
Durée : 1h46
Genre : Drame
Date de sortie : 15 décembre 2021
Pays : Roumanie, Luxembourg, République tchèque, Croatie