Bacurau : Allons enfants du Brésil ! Contre nous de la tyrannie !

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Source : Allociné

Spectacle (nom masculin) : Ensemble de ce qui se présente au regard, à l’attention et qui est capable d’éveiller un sentiment. Si le Larousse dit vrai, notre volonté de commencer par définir Bacurau comme un objet spectaculaire est d’autant plus intéressante qu’elle affirme d’emblée que brûlot politique et spectacle peuvent avancer ensemble, étant bien plus compatibles que ce que l’on pourrait penser. Car, en effet, Bacurau est un film conçu, pensé pour abreuver sans cesse le regard, le nourrir avec générosité et passion sans pour autant perdre de vue le cri viscéral et révolté qui l’habite.

Il est extrêmement revigorant de se retrouver, en salle obscure, face à une toile qui combine divertissement ET message (politique, sociétal). On peut alors s’avachir comme bon nous semble sur le fauteuil car on sait tout de suite qu’on va s’en prendre plein les mirettes, mais jamais (ou presque) au détriment du fond. Non, l’emballage visuel exquis de Bacurau n’abrite pas le vide, mais bel et bien le combat et passionnant questionnement sur la violence (sociétale aussi bien qu’individuelle). Et, inversement, Bacurau n’est pas qu’une satire amère, c’est aussi un bonbon acidulé au travail visuel.

Travail visuel extrêmement inspiré mais qui, plutôt que de se contenter de régurgiter ses références cinématographiques sans même les assaisonner, prépare sa salade en y mélangeant les genres (western, SF, thriller…) et les époques (70’, 30’-40’…). Pour ce faire, il est évident que ces deux cuistots de réalisateurs s’amusent, prennent un plaisir fou et ainsi, nous en donnent à revendre… En effet, l’objet ne se veut jamais plus grand qu’il ne l’est, car Mendonça Filho et Dornelles ont bien compris que leur amour du cinéma était la plus belle des vérités que l’on puisse offrir à un spectateur. Ils font nôtre leur bonheur avec une photo lumineuse et colorée au sein de laquelle les références visuelles priment sur la présence des personnages (pourtant mémorables !). On joue avec les échelles de plans (comment ne pas penser à Carrie à plusieurs reprises !), on alterne plans larges et rapprochés, on éclaire à la lampe torche, on se joue des points de vue… Mais, encore une fois, s’il y a un mot à retenir dans tout ça, c’est bien le mot « jouer » qui explicite la jouissive plaisance que cinéastes et spectateurs se relaient sans cesse.

Alors oui, bien évidemment que Bacurau est aussi un chant guerrier puissant, mais pourquoi commencer par là quand on sait comme il serait facile (et réducteur) de le résumer à cela. Nous choisissons, à dessein, le terme « chant guerrier » car, à l’image du fait que rien n’est tout noir ou tout blanc, Bacurau n’est jamais qu’un pamphlet sérieux ou qu’une satire à l’humour noir. Non, le film est abrasif dans son choix de se mettre à hauteur d’une communauté pour formuler son propos critique. D’où toute l’intelligence de choisir, sur la carte de notre monde, un point précis que les gros pontes égotistes et déconnectés de la réalité voudraient voir disparaître du fait du refus de ses habitants de plier le genou devant les dirigeants qui les oppriment (en premier lieu en les privant d’un droit des plus vitaux et fondamentaux : l’accès à l’eau). Faire cela, c’est pousser à réfléchir sur qui nous dirige et leur pouvoir sur nos territoires. C’est-à-dire, et c’est une des métaphores explicitées par le film, sur nos vies, notre droit à exister au sein d’un lieu qui serait nôtre. Ce lieu est-il une ville ? Un village ? Ou plutôt défini par un groupe d’individus, une communauté ? Ce que nous démontre les vaillants et irréductibles Gaulois de Bacurau (qui posent problème justement dans leur refus d’abdiquer), c’est que c’est un peu tout cela à la fois et donc, qu’en défendant un espace physique, c’est un ensemble de coutumes et de traditions (qui leur sont propres) qu’ils ne veulent pas voir rayé de la carte, et donc de la nouvelle Histoire. A noter que, contrairement au début du film (merveilleuse scène d’inhumation chantée), le film s’attarde malheureusement trop peu par la suite sur la manière de vivre de la communauté.

Le village de Bacurau, cœur du film donc, est aussi un vivier magnifique de personnages. Qu’ils soient grandiloquents, taiseux ou adulés, chacun possède sa place et a littéralement son rôle à jouer. C’est, là aussi, une façon judicieuse pour les deux cinéastes d’illustrer leur propos. En effet, comment mieux faire valoir l’importance d’une communauté qu’en faisant peser chacune des individualités qui la composent ? Pas vraiment de leader ou de protagoniste donc, juste une armée de personnalités plus ou moins excentriques qui forment un bataillon de résistance qui n’en est que plus humain et, par là même, plus réaliste.

Synopsis : Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.

Bacurau : Bande-Annonce

Bacurau : Fiche Technique

Réalisation et scénario : Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles

Distribution : Barbara Colen, Sônia Braga, Udo Kier, Thomas Aquino, Silvero Pereira…
Montage : Eduardo Serrano
Musique : Mateus Alves et Tomaz Alves Souza
Production : Saïd Ben Saïd
Pays d’origine : Brésil
Format : Couleurs – 35 mm – 2,35:1
Genre : drame, thriller, western
Durée : 132 minutes
Dates de sortie :
France : 15 mai 2019 (festival de Cannes 2019) ; 25 septembre 2019 (sortie nationale)
Brésil : 29 août 2019

(Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement lors de sa sortie en France)