Le paradoxe du T-Rex est intéressant : un grand corps imposant et un petit cerveau pour diriger toute sa férocité. C’est un peu le complexe que traîne cette énième aventure rocambolesque, qui a tout pour plaire à première vue, mais qui se révèle être un pseudo-survival, tout ce qu’il y a de plus inoffensif. Le dinosaure à Hollywood, c’est encore de la viande numérique qui ne fait ni chaud ni froid.
Sous l’impulsion de Sam Raimi et de Columbia Pictures, Scott Beck et Bryan Woods, à qui l’on doit le scénario de Sans un bruit, ont la lourde tâche de restituer l’ambiance que Jurassic World 3 : Le Monde d’après s’est refusé d’offrir à son public, à savoir un basculement de la chaîne alimentaire. Avec autant de fossiles à leur portée, les réanimer le temps d’une promenade sous tension catalysait déjà tout le concept du projet, un peu farfelu, mais que le dernier néophyte des grosses bébêtes ne manquera sous aucun prétexte, le seau de pop-corn en main.
La vie ne trouve pas toujours un chemin
Pourtant, il ne faudrait pas se mentir et plutôt commencer à admettre que les auteurs américains ont encore beaucoup à prouver. Leur contribution au film de genre se limite au slasher Haunt, qui doit tout à ses ancêtres. C’est bien là tout le problème lorsqu’on se lance dans une épopée spatiale qui tourne mal et qui ne prend même pas soin de masquer son pillage sur Interstellar ou encore sur le monumentale Jurassic Park. Le visuel n’aura donc pas de quoi dépayser le premier Terrien, 65 millions d’années après la fin de l’ère du crétacé.
C’est sans doute ce qu’on peut appeler une occasion manquée, de peu, cependant juste assez pour que le spectateur ait toujours un coup d’avance sur le scénario et les personnages. Il est alors inutile d’insister sur la défaillance du pilotage automatique en ouverture, qui a forcé l’atterrissage du vaisseau d’un explorateur. Il s’agit d’un concept dans l’identité du récit, sans surprise et sans un prédateur pour rattraper l’autre.
Extinction imminente
Pas le temps de s’émerveiller comme Steven Spielberg en admirant des diplodocus ou autres tricératops, les cinéastes ne cachent pas leurs intentions, focalisées sur la prédation de leurs jouets carnivores.
« Nous avions une devise : l’essentiel dans le suspense est ce que l’on ne voit pas », affirme le duo de réalisateurs. C’est en effet dans le hors-champ que la puissance de la suggestion peut gagner en efficacité. Le détour par la caverne en témoigne. Vient alors tout un panel sensoriel, tentant de consolider ce style. Malgré ce constat, l’incertitude autour des protagonistes est loin d’être maîtrisée. Le suspense n’a pas le temps d’exister avec une découpe aussi soutenue, ce qui donne le fort sentiment de ne pas avoir d’enjeux à défendre également.
L’argument du film, c’est pourtant les dinosaures, ce qui est un peu contradictoire, sachant que l’on souhaite minimiser leur présence, mais que l’on a également vendu comme le sujet de castagne avec l’ex-marine Adam Driver. Le comédien en impose toujours un peu plus et incarne un Mills perdu dans son esprit. Dommage que toute la mise en scène explicative mâche tout son jeu. On se contente alors d’enchaîner le héros à sa mémoire défaillante, jusqu’à dépendre d’hologrammes pour le forcer à culpabiliser. Il en résulte une guérison accélérée, qui écarte toute trace de solitude.
Fais ce que je dis, pas c’que je fais
Comme pour Sans un bruit, la barrière de langage est présente, mais se révèle moins pertinente ici, voire dispensable. Pas de langue des signes, sauf pour indiquer des directions ou pour mimer ce qui va de soi. Les auteurs semblent avoir oublié de justifier les contraintes, liées à l’environnement hostile dans lequel nos rescapés évoluent. Le cas de l’autre survivante parle de lui-même, ou presque, c’est pourquoi on ne développera pas pour un sou la jeune Koa (Ariana Greenblatt), si ce n’est reproduire le schéma identique du héros qui la sauve et qui se fait ensuite sauver. Leur complicité devrait pourtant être l’ADN de toute l’intrigue, du moins pour Mills, qui avance sans cesse, afin de surmonter un deuil.
L’épreuve ultime du T-Rex est là pour nous convaincre de ce qu’il ne faut pas faire pour garder son public en haleine, car tous les obstacles sont oubliables. En somme, 65 – la Terre d’avant n’est pas le plus convaincant aujourd’hui, en matière de divertissement. On trouvera de meilleures propositions dans le nanarland des Carnosaur et compagnie, mais certainement pas dans ce que Beck et Woods semblent entretenir, au pays du 7e lard, où le gras ne laisse ni place à l’intensité, ni place à l’émotion. Le fait de prendre ce genre de projet au sérieux est sans doute ce qui l’a conduit à sa propre extinction. Le gros caillou tombé du ciel n’y serait donc pour rien.
Bande-annonce : 65 – la Terre d’avant
Fiche technique : 65 – la Terre d’avant
Réalisation & Scénario : Scott Beck, Bryan Woods
Photographie : Salvatore Totino
Décors : Kevin Ishioka
Costumes : Michael Kaplan
Montage : Josh Schaeffer, Jane Tones
Musique : Chris Bacon, Danny Elfman
Production : Columbia Pictures, Bron Studios, TSG Entertainment
Pays de production : États-Unis
Distribution France : Sony Pictures Releasing France
Durée : 1h33
Genre : Science-fiction, Thriller
Date de sortie : 15 mars 2023
Synopsis : Après un terrible crash sur une planète inconnue, le pilote Mills découvre rapidement qu’il a en réalité échoué sur Terre…il y a 65 millions d’années. Pour réussir leur unique chance de sauvetage, Mills et Koa, l’unique autre survivante du crash, doivent se frayer un chemin à travers des terres inconnues peuplées de dangereuses créatures préhistoriques dans un combat épique pour leur survie.