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Sincérité et truculence : le cinéma de Jean-Pierre Mocky

On a aimé rire avec ses films. On a apprécié ses personnages truculents. On a entendu ses coups de gueule et ses engagements. Jean-Pierre Mocky a fait partie intégrante du paysage cinématographique français, où il s’est rendu incontournable. Au point que sa personnalité forte et attachante nous manquera.

Lorsque j’évoque Jean-Pierre Mocky, ce sont d’abord les comédies qui me viennent en tête. Bien entendu, il était aussi un grand réalisateur de polars, bien noirs, bien sombres, très engagés politiquement, et dans lesquels, le plus souvent, il se donnait le rôle principal. Généralement un rôle de franc-tireur isolé, seul contre tous, mais terriblement attachant, et fonçant dans le tas tête baissée. C’était comme s’il tenait son propre rôle, celui du mec à contre-courant qui ne lâche rien parce que ce qu’il fait correspond à ce qu’il est.
C’était sans doute cela la première et la principale qualité de Jean-Pierre Mocky : sa sincérité. Pas une once de duperie en lui : il faisait ce en quoi il croyait dur comme fer. Jamais il n’a cédé aux sirènes de l’hypocrisie commerciale. Qu’on aime ou qu’on déteste, il s’en moquait, Mocky. Lui, il disait ce qui lui tenait à cœur, il filmait comme il était.
D’ailleurs, l’hypocrisie, la duplicité, c’étaient ses cibles majeures. Le conformisme et le pouvoir en place également. Durant toute sa carrière, il s’est plu à combattre tous ceux qui, de part leur fonction ou leur place sociale, possédaient et abusaient de leur pouvoir. Bien entendu, les policiers ont été des victimes de choix, souvent ridiculisés dans des comédies qui ressemblaient à des courses-poursuites (Les Compagnons de la marguerite, La Grande lessive (!) ).

Les compagnons de la marguerite : bande annonce

C’est ainsi que Jean-Pierre Mocky va peupler ses films de personnages marginaux, tendres et décalés dont l’objectif principal sera de mettre à nu cette hypocrisie et de détruire ce conformisme. Dans Les Compagnons de la marguerite, c’est Claude Rich, admirable faussaire, qui va trafiquer les registres d’état-civil pour annuler certains mariages, libérant ainsi des maris et des femmes mécontents de leur situation (et permettant à Mocky de s’en prendre joyeusement à une institution de l’état bourgeois). Dans Le Miraculé, il s’attaque au business de Lourdes. Le personnage de Victor Lanoux dans Y a-t-il un Français dans la salle ? met à nu le fonctionnement des hautes sphères de l’état, avec sa corruption, son arrogance et sa police aux ordres.
D’aucuns pourraient lui reprocher de manquer de finesse. Dans ses films, les vulgarités sont fréquentes, les ficelles sont grossières. Mais il faut considérer les films de Mocky comme des armes servant à dénoncer des réalités vulgaires et grossières. Chez Mocky, la vulgarité et la violence verbale sont toujours du côté des possédant, des vainqueurs, des dominants. A l’inverse, ceux qui combattent ce système politique sont souvent plus fins, plus subtils, plus élégants aussi. Il faut voir l’émouvant parcourt suivi par le personnage de Victor Lanoux dans Y a-t-il un Français dans la salle ? Il commence en étant chef d’un parti politique, personnage influent et violent, exploiteur et méprisant. Puis il va être touché par la grâce à travers l’amour d’une adolescente, et le personnage va se transformer en un être émouvant et dramatique.
La sympathie de Mocky allait toujours vers ceux qui se battaient pour leurs idées. Par contre, il pouvait être féroce, et cette férocité n’épargnait personne, du haut en bas de l’échelle sociale. Si, en bon anar’, la bourgeoisie dominante était sa cible préférée, il n’hésitait pas à caricaturer une « France d’en bas » veule et prête à se vendre pour un peu de bien matériel. Personne n’était épargné, et tout le monde en prenait pour son grade.

Jean-Pierre Mocky, c’était vraiment un style particulier et unique. Il ne s’attachait à aucun style, ne relevait d’aucune école (même si son excellent premier long métrage, Les Dragueurs, pourrait se rapprocher de la Nouvelle Vague). L’indépendance était sa méthode, la liberté son mot d’ordre. Il produit, écrit, réalise et distribue lui-même ses films, et sa filmographie devient vite pléthorique : plus de soixante longs métrages à son actif, dont certains succès commerciaux, mais aussi des films beaucoup plus confidentiels, surtout dans les dernières années.
L’une des raisons de la réussite de Mocky, en plus de la sincérité de sa parole, c’est le nombre d’acteurs et d’actrices qui se pressaient pour jouer chez lui. Il y avait les habituels (Michel Serrault et Jean Poiret, Bourvil, Dominique Zardi, Francis Blanche) et ceux qui étaient de passage le temps d’un film (Jean-Louis Barrault, Charles Vanel, Alberto Sordi). Jean-Pierre Mocky disait choisir ses acteurs sur leur « gueule », mais dans la réalité il tissait un lien très étroit avec eux. Il en ressort un plaisir évident à jouer des textes truculents et des personnages décalés dans des situations frôlant l’absurde.
La filmographie de Mocky est d’une grande cohérence, formant une œuvre unie reconnaissable entre toutes. Et lorsque l’on aime ce cinéaste généreux et sincère, alors c’est un plaisir de plonger dans ses films, même s’ils ne sont pas tous des grandes réussites.
Avec la disparition de Jean-Pierre Mocky, c’est une des personnalités majeures du cinéma français de ces soixante dernières années qui nous quitte. Un cinéaste qui n’aura jamais arrêté (il travaillait à un film sur les Gilets Jaunes, évidemment pourrait-on dire quand on connaissait le bonhomme). Il nous reste ce plaisir coupable à revoir ces films uniques et audacieux.