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Le droit de tuer ? : Justice sauvage

Guillaume Meral Rédacteur LeMagduCiné

Qui dit Joel Schumacher dit Batman. Donc cadrages débullés sur néons fluos, tétons qui pointent sous le Bat-Kevlar, DC à Mykonos pour la DA et punchlines de bâtonnet M. Freeze pour les menu kids. Pas l’empreinte la plus facile à assumer dans l’histoire récente du cinéma. Mais Schumacher, c’est aussi des films qui ont remué la poussière cachée sous le tapis du soft-power triomphant des 90’s, et fait tousser l’Amérique d’aujourd’hui. Et en la matière, Le droit de tuer ? ne fait pas dans la dentelle.

De L’Abjection

Déjà le pitch : dans le Sud profond qui n’a jamais enterré la hache de la guerre de Sécession, deux rednecks crasseux violent une fillette noire sur le chemin des courses. Pas de doutes, ni de points d’interrogations sur le pourquoi du comment. Schumacher introduit les deux ignobles avec tout le sens du grotesque dont son Scope est capable sans franchir la ligne fine de la caricature, et l’acte en lui-même ne laisse pas de place à l’ambiguïté.

On aimerait pas être à la place d’un cinéaste chargé de montrer l’immontrable sans pornographier ce qui devrait rester hors-champ. Mais là encore, Schumi sait qu’il doit réaliser l’impossible : faire en sorte que le public SACHE d’expérience et de vécu, dans sa chair et dans son âme, pour ne pas lui laisser le confort des postures.

Les années 90, c’étaient cette décennie où des kamikazes de la caméra n’hésitaient pas à faire mal au spectateur. Pas pour tapiner sur le bitume du voyeurisme crade, mais pour réveiller son empathie anesthésiée par la surmédiatisation de la violence. Joel Schumacher, comme Kathryn Bigelow ou Oliver Stone, faisait partie de ces cinéastes qui concevaient le cinéma comme le langage de la stratégie du choc, le contre-pouvoir à l’impact. On n’est plus au stade De L’abjection de Jacques Rivette sur Gillo Pontecorvo, la morale n’est plus une affaire de travelling, mais de ressenti. Il ne s’agit pas de bêtement représenter ce qu’on ne saurait voir, mais d’expérimenter à la première personne ce qu’on est habitué à regarder à distance d’écrans interposés.

Dear White People

Ici, Schumacher fait juste ce qu’il faut pour préserver la morale élémentaire (on ne voit jamais le visage de la fillette) tout en allant bien plus loin que ce que le spectateur venu pour une adaptation de John Grisham s’attendait à recevoir. Le romancier américain, qui fut la poule aux œufs d’or du Hollywood des années 90, a cette réputation (parfois vraie, un peu injuste) de pointer sa plume sur les dysfonctionnements de l’Amérique en ménageant la susceptibilité de ceux qui ne les subissent pas. De sa caméra, Schumi ne fait autant de manières : chacun est invité à autopsier sa propre moralité. Surtout quand la justice n’est pas aussi aveugle qu’elle prétend l’être.

Car encore une fois, nous sommes dans le Sud profond. Là-bas, les violeurs blancs que tout accuse peuvent s’en tirer. Pour le père de la gamine, joué par un Samuel L. Jackson tout en « character actor » habité, l’autojustice n’est pas de la vengeance, mais un acte de lucidité. Pour son avocat doué mais frivole, joué par un Matthew McConaughey déjà tout de lui-même vêtu, c’est un casse-tête. Comment faire acquitter par un jury blanc un homme noir qui a rafalé les monstres au nez et à la barbe de tout le monde ? Les subtilités juridiques les plus encastrées dans les petits paragraphes de la jurisprudence ne font pas le poids face au témoignage du vu et du vécu.

Démocrate bon teint aveuglé par sa vertu, le personnage de McConaughey est constamment en retard sur celui de Jackson dans le déroulé des événements. Le film aurait pu aller plus loin dans le renversement des rôles, avec le WASP BCBG trempé dans l’indolence du bourbon, balladé par le prolo noir qui sent la sueur en marcel. Malgré sa dégaine de gibier de potence en puissance, Samuel L. Jackson sait ce qu’il fait. Le vigilante-movie est déféré devant le film de procès. À charge pour le jury et le spectateur de traiter l’acte d’accusation, avec toutes les questions indélicates que cela implique.

Guilty conscience

On le sait depuis Columbo, le plus con c’est pas celui qui porte l’anorak de chez Kiabi. Jackson n’attend pas qu’on vienne le sauver: il choisit son sauveur persuadé d’être moins blanc que les autres. Du sur-mesure. Mais Akiva Goldsman au scénario oblige, Le droit de tuer ? s’efforce de noyer le poisson. Le scénariste et son coup de clavier à l’eau de javel recentre le curseur sur le point de vue du grand-public venu pour une adaptation de John Grisham. Donc un peu de sauveur blanc quand même.

On fait pas toujours ce qu’on veut dans une production de studios avec un casting all star. Mais assez cependant pour défroquer le personnage de McConaughey de son costume de Gregory Peck du Silence et des ombres. Voir ce plan qui exprime en suspension la sidération de McConaughey, avec ses vêtements maculés du sang de la culpabilité.

On a souvent reproché au Droit de Tuer ? de faire l’apologie de la peine de mort, mais ce n’est pas vraiment le débat, là-bas tout le monde est pour. Si ce n’est Sandra Bullock, la libérale newyorkaise qui découvre l’opinion des libéraux du Mississipi sur le sujet. La question se pose plutôt sur son application, qui varie en fonction de la couleur de peau.

Vision du présent

Les tensions raciales qui explosent dans l’Amérique d’aujourd’hui sont celles qui grondaient dans les années 90 dépeintes dans le film. À sa sortie, Le droit de tuer ? ranimait les spectres du passé. En 2023 le film scrute les démons de maintenant . Charleston, Georges Floyd, KKK, tout ça se tend à l’écran comme un memento mori de l’ultra-présent. Il va falloir rendre à Joel ce qui appartient à Schumacher. Entre Chute Libre et 8mm, le réalisateur fut surement l’un de ceux qui a le mieux raconté notre époque depuis la sienne.

De fait, la vraie question du Droit de Tuer ? n’est pas tellement « Peine de mort, pour ou contre ?». Ce serait plutôt : « Peut-on condamner le bourreau des bourreaux de son enfant, dans un système susceptible de les acquitter pour leur couleur de peau ? ». Compliqué hein ? C’est tout le sens de la carrière de John Grisham au fond, qui tient dans la plaidoirie finale du personnage de McConaughey. À savoir conduire l’américain moyen à admettre l’injustice profonde de son système judiciaire. Et lui donner les clés pour en rétablir l’équité. La morale n’est plus une affaire de travelling devant le fait accompli.

On peut lui opposer que manipuler le jury en jouant sur les émotions revient à manipuler le spectateur derrière la caméra. Comme le fait notre avocat lorsqu’il traduit en mots le viol auquel nous avons été confronté en images au début du film. Peut-être. C’est plus facile de trancher le débat quand on ne se sent pas concerné. Ce qui n’est pas le cas ici.

Bande-annonce : Le droit de tuer ?

Fiche technique : Le droit de tuer ?

Titre original : A Time to Kill
Réalisation : Joel Schumacher
Scénario : Akiva Goldsman, d’après le roman Non coupable (A Time to kill) de John Grisham
Avec Matthew McConaughey, Sandra Bullock, Samuel L. Jackson…
Directeur de la photographie : Peter Menzies Jr.
Montage : William Steinkamp
Distribution des rôles : Mali Finn
Direction artistique : Richard Toyon
Décors : Larry Fulton
Décorateur de plateau : Dorree Cooper
Costumes : Ingrid Ferrin
Musique : Elliot Goldenthal
Producteurs : John Grisham, Hunt Lowry, Arnon Milchan et Michael G. Nathanson
Producteur associé : William M. Elvin
Genres : drame juridique, thriller, rape and revenge
Durée : 149 minutes
Dates de sortie :
États-Unis : 26 juillet 1996
France : 13 novembre 1996

Rédacteur LeMagduCiné