Laurie Strode essaie tant bien que mal d’oublier le passé dans la petite ville de Summer Glen, en Californie. Sous le nom de Keri Tate, elle exerce en tant que directrice d’une petite faculté huppée tout en jonglant avec sa vie privée et son fils adolescent John, qui en a marre des épisodes dépressifs de sa mère, et son amant, Will, qui n’est pas au courant de son passé sanglant. Pour la fête d’Halloween, l’école a prévu une sortie mais John et trois de ses camarades choisissent de rester pour s’amuser entre eux. C’est l’occasion pour Michael Myers de régler ses comptes.
Steve Miner, le réalisateur de cet opus, a fait ses premiers pas dans le monde du cinéma en produisant La dernière maison sur la gauche de Wes Craven. L’engouement pour le slasher lui donne l’opportunité de coproduire Vendredi 13 et même de réaliser le second et troisième opus de cette prolifique série. Sans être un inconnu du genre, le metteur en scène n’affiche pas de succès mémorables, mais choisit pour ce retour aux sources de revenir au format originel, à savoir le 2.35. Plus que le format, c’est la formule qui subit un lifting de taille. Comme l’affiche le laisse présager, ce septième épisode des aventures de Myers est placé sous le signe du teen movie ou plutôt du néo-slasher. L’occasion de revenir un peu sur la franchise et sur ce sous-genre si particulier de l’horreur qui a marqué les années 90.
L’origine du slasher : Halloween
Véritable origine du genre, Halloween : la Nuit des masques (1978) installe tous les codes reconnaissables du slasher mais surtout lui donne ses lettres de noblesse grâce à un art du montage dont seul Carpenter a le secret et qu’il peaufinera jusqu’à l’excellence dans The Thing (il ne cesse de poser la question cruciale pour un spectateur voulant frissonner : qui est dans le plan ?). Son lointain rejeton, Halloween 20 ans Après ne bénéficie pas des mêmes gloires ni de la même technique, avouons-le d’emblée. Le colosse Michael Myers n’est plus que l’ombre de lui-même ; le lore de la franchise s’étant tellement développé ou étiolé dans de vaines tentatives de renouvellement qu’il semble avoir perdu son public. Ainsi dans l’opus précédent Halloween 6, Michael est le coursier meurtrier d’une secte implantée en plein Haddonfield, responsable des meurtres de la ville de Haddonfield depuis 20 ans.
Si Halloween 20 ans Après n’est clairement pas le chef-d’œuvre de la franchise, en 1995, faire de Michael Myers un héros de néo-slasher semble une idée tout à fait logique. Surfant sur la mode lancée par Scream, les ingrédients à transformer étaient déjà là ; moyennant l’idée un peu farfelue de faire de Laurie Strode (toujours jouée par Jamie Lee Curtis) la directrice d’une fac cosue pour blancs bourgeois, la narration parvient à fondre le slasher originel dans son descendant sans trop de heurt pour le spectateur. Après tout, plus encore que l’original, le néo-slasher a vocation à être fun, à transformer l’action et le frisson horrifiques en plaisir non coupable. Les personnages censés être des lycéens (mais dont l’âge les rapproche plutôt d’étudiants de master, autre convention étrange) sont tout droit sortis des Frères Scott (Josh Hartnett) ou de Dawson (Michelle Williams) – deux teen shows à succès des années 90 – et remplissent à merveille leur rôle sans jamais briller. On accueille même dans un de ses premiers rôles notables, Joseph Gordon Levitt, Paul Rudd (déjà vu notamment dans Freddy 2) et le rapper LL Cool J pour un clin d’œil, tout comme Janet Leigh, la mère dans la réalité de Jamie Lee Curtis, immortalisée à jamais pour son rôle de Marion Crane dans Psychose. Michael est quant à lui joué par Chris Durand sans âme qui n’arrive jamais à insuffler dans le boogeyman (l’antagoniste immortel du genre) un peu du charisme de ses prédécesseurs.
L’intrigue est donc simple : après s’être arrangés pour rester seuls au lycée, donnant prétexte à faire de l’école le lieu unique de l’action, les jeunes qui font la fête se font tuer un à un par Michael qui reprend sa quête meurtrière : tuer Laurie et tous ceux qui l’entourent. Or, bien qu’il reste un des moins aimés des fans, est-il pour autant le plus creux de cette longue franchise ?
L’une des meilleures idées est sans doute l’écriture du personnage emblématique de Laurie Strode. Dans un slasher, l’héroïne n’est pas vouée à mourir puisqu’elle est la final girl (celle qui survit à la fin… jusqu’à la prochaine suite), mais cet opus va beaucoup plus loin : non seulement elle incarne la femme forte, une héroïne féminine comme on aime à en voir, mais elle se paie le luxe d’être le véritable moteur de l’action (du moins dans la deuxième moitié du métrage). C’est elle qui décide de ne pas fuir, d’affronter Michael quoi qu’elle n’en ait absolument pas les moyens. C’est elle qui choisit d’être une battante après avoir été écrasée pendant deux décennies par une dépression profonde liée à l’angoisse du retour éventuel de Michael. Contre cette dépression, contre sa mort annoncée face au boogeyman immortel, elle choisit pourtant de se battre. L’idée est tellement bonne qu’elle est reprise quelque 20 ans après (décidément) par une autre énième suite de Halloween, celle de 2018 qui en fera son seul intérêt, moyennant la transformation de Laurie en une guerrière façon Rambo du plus mauvais effet. Ici, passé le changement de décor et de situation dramatique qui incombent à ce scénario et au néo-slasher lui-même, le pitch est en fait très cohérent. Après 6 films, six histoires où Laurie est pourchassée par Michael sans véritable raison, et forte de ces survies, elle décide de faire face.
Le Néo-slasher
Boogeyman, Final girl, slasher et néo-slasher, ce jargon constitué par les fans est pourtant précis et permet de comprendre la différence entre le genre et son sous-genre, assurément l’un des moins aimés parmi la pléthore de sous-genres que décline l’horreur. Moins aimé, bien qu’il revienne à la mode aujourd’hui dans les derniers opus de Scream, dans le simpliste Happy Death Day ou les requels et autres reboots contemporains qui veulent surfer sur un frisson cinématographique qui ne veut décidément pas mourir.
Néo-slasher et non slasher, car il y a bien une différence qui passionne les geeks de l’horreur et qui tient en réalité surtout à un nom, Kevin Williamson. C’est à lui qu’on doit la mue de ce genre si productif qu’est le slasher en une forme qui en concentre les traits et les effets afin de lui redonner un nouveau souffle. On le sait et on l’a déjà beaucoup dit, le slasher est ce genre qui, comme son nom l’indique, se concentre sur des meurtres sanglants à l’arme blanche (to slash : taillader, balafrer) souvent sur une bande de jeunes qui s’apprêtent à faire la fête et/ou l’amour. Conservateur ? Sans doute un peu si ce n’est que le tueur n’incarne en général aucun jugement particulier ou n’est la métaphore d’aucun fantasme macabre précis, mais se distingue par sa capacité (très bankable au regard de la franchisation de tous ces personnages) à toujours se relever. Dès les prémisses du genre avec l’excellent La Baie sanglante (1971) de Mario Bava où le meurtre était déjà réduit (quasiment au sens chimique du terme) à sa pure pulsion, passant de personnage en personnage et s’accrochant mollement à différents mobiles, le slasher s’est vendu comme un cadre, qui, par le bonheur de l’écriture et la puissance de la mise en scène de Carpenter, est fait de traits stylistiques communs et aisément repérables. Une recette de cuisine à laquelle chacun est voué, en somme, à ajouter sa touche personnelle pour ne pas que le bon plat du dimanche soir ne devienne une rengaine indigeste.
Un lieu, un tueur gore et des adolescents suffisent à faire un slasher. L’intérêt de la recette était avant tout d’être payante, Halloween de Carpenter restant jusqu’à Blair Witch le film le plus rentable de l’histoire du cinéma. Autant dire donc que décrit ainsi, il ne s’agit pas du genre le plus politique du répertoire de l’horreur ni du plus intello.
Évidemment, les amateurs trouveront des subtilités à n’en plus finir qui rendent le genre, en plus d’être fun, très intéressant et escamotent l’image très conservatrice qu’on peut en avoir. Par exemple, l’ambiguïté du rôle de la final girl qui n’est rien de moins qu’une héroïne forte et combattante échappant aux griffes d’une force masculine déchaînée ; ainsi peut-être également le statut social de ces jeunes décrit à merveille par le lieu de l’action : quasiment toujours l’incarnation fantasmatique du rêve américain, les suburbs ensoleillés de Californie (Blue Velvet de Lynch en révèle les arcanes et alcôves sombres, ou en moins sérieux, The Burbs de Joe Dante), dont un meurtrier vient troubler la paisible routine. Celui-ci étant dans Halloween, comme par hasard, vêtu d’un bleu de travail.
La carte d’identité d’un tel genre se révèle donc pauvre aux yeux de certains mais le néo-slasher vient encore la simplifier. Produit d’un retour réactionnaire du cinéma hollywoodien digne de l’ère Reagan, le slasher commence dans les années 80 dans lesquelles ses aspects loufoques et lucratifs ne dénotent pas. Mais à l’orée des années 90, une formule aussi codifiée, c’est-à-dire au fond si peu originale, s’essouffle et il faut alors la revitaliser. Kevin Williamson et Wes Craven vont être les deux jambes sur lesquelles va s’appuyer le néo-slasher pour se relever. L’histoire est relativement connue : engoncé dans une formule fatiguée par toutes ses itérations qui courent (c’est le cas de le dire) sur plus d’une décennie, qu’en faire pour qu’elle suscite à nouveau l’intérêt ? Dans un geste par essence postmoderne et méta-esthétique, Wes Craven et Williamson transforment le problème en solution. Qu’injecter dans cette forme éreintée pour la renouveler ? Réponse : sa forme elle-même. Ils vont donc réaliser un slasher qui aura pour thème et contenu, la forme même du slasher, et ce sera bien évidemment Scream.
Néo slasher et Teen movie
Mais, curieusement, on a peut-être oublié un autre aspect que déploie Scream dans toute son originalité et qui tient assurément davantage à Kevin Williamson qu’à Craven. Scream a pour objet son propre genre ou plus largement le film d’horreur codifié, mais ses personnages, pour autant tous reliés à cette thématique, ont une autre spécificité. La final girl qui n’est plus passive, les comic relief (la note d’humour qui désamorce une tension horrifique insupportable) qui s’avèrent les meurtriers les plus subtils, le nerd/geek spécialiste desdits codes de l’horreur et donc capable de les expliquer en temps réel, le policier devenu à son tour un comic relief. Bref, tous jouent également sur leur fond caricatural et codifié, pour mieux le renverser, mécanique générale du film donc. Mais s’ils le peuvent si bien, c’est qu’ils sont avant tout une bande de lycéens. Kevin Williamson a fait du slasher un teenage movie et il faut oser dire qu’il s’agit là d’une idée profondément séminale et féconde dont on n’a peut-être pas encore mesuré l’impact.
Certes le slasher originel mettait déjà en scène des jeunes, souvent lycéens entre eux et dans l’établissement scolaire qu’ils fréquentaient. Certes aussi, il avait à voir avec les premiers balbutiements d’une sexualité juvénile mais pour mieux la sanctionner et l’arrêter net. S’il y avait des ados, c’était surtout du point de vue des adultes éventuellement parents eux-mêmes – d’où l’aspect conservateur dans la mesure où le regard porté était celui d’éducateurs. Kevin Williamson, au contraire, vient des séries pour adolescents et apporte avec lui tout un savoir-faire narratif qui le rend à l’aise avec l’idée d’écrire pour des teens sur des teens. Si – USA oblige – son regard n’est pas toujours dénué d’un certain moralisme, il reste qu’un ado peut s’identifier aux personnages à l’écran là où les jeunes des slashers originaux étaient du bétail plus qu’autre chose. La puissance du néo-slasher vient donc de ce détail narratif ou d’écriture des personnages qui change tout. Car si l’identification est possible, alors les jeunes spectateurs peuvent être des héros véritables. Qui se souvient de la bande de jeunes du premier Freddy ou du premier Halloween à part Laurie Strode ? Cinématographiquement, ils n’étaient là que pour accueillir l’arme contondante de Michael, des pauses sanglantes dans un mouvement inéluctable. Cette mécanique se grippe puis se renverse avec le néo-slasher, d’où le mouvement du tueur qui se fait plus erratique et chaotique ; l’idée que cette fois, peut-être, enfin et en fin de compte, il ne s’en sortira pas… Dans la franchise des Destination finale par exemple, on se paie même l’audace de réduire dans un geste d’épuration extrême le boogeyman à sa simple fonction (tuer) en en faisant un pur effet de la Mort.
Rehaussé de la formule du whodunnit (« qui a fait ça ? » popularisé par le Cluedo et les romans policiers classiques d’Agatha Christie), la narration est en fait une enquête qui doit littéralement démasquer le tueur en fin de film, la formule reste donc très simple, dans le sillage du slasher originel mais avec un ton et un style finalement assez différents. Or, c’est bien ce style qui a marqué l’époque et le public tant il était appuyé et reconnaissable. C’est bien simple, la formule slasher relookée des années 90 a tellement fonctionné qu’elle a fini par se confondre avec le cliché du film d’horreur : une bande de jeunes écervelés et libidineux qui se font massacrer dans les lieux familiers où ils traînent habituellement (lycée, fac, piscine, bar ou club). À cet égard, le classique The Faculty de Rodriguez réunit tous les traits de ce sous-genre, du lieu scolaire central de l’action (le lycée dont les professeurs sont les meurtriers comme le titre l’indique) à la bande de jeunes en passant par la tentative pseudo-subversive de l’usage de substances illégales comme passage obligé à l’âge adulte. Un film une fois de plus scénarisé par Williamson.
Si la franchise des Scream a continué avec Wes Craven à explorer la forme nue du slasher en s’enfonçant dans le méta, ce n’est pourtant pas la trace qu’elle a laissée dans le genre de l’horreur – en témoigne l’échec de Scream 3, pourtant très bien mené. Ce que l’on retient en fait, ce n’est pas la dimension méta-esthétique du sous-genre (peut-être trop visionnaire et en avance sur son temps ?) mais le fun d’une formule terriblement légère sans être creuse pour autant. Halloween 20 ans après n’est donc ni le pire de la franchise ni un plaisir coupable mais – comme beaucoup d’autres néo-slashers – un bon film d’horreur à regarder entre amis.




