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Un monde parfait selon Ghibli : les rouages d’un imaginaire intarissable

Ariane Laure Redacteur LeMagduCiné

Depuis 2015, les éditions Playlist Society décryptent les œuvres de réalisateurs en remettant dans les mains du public les clés de leurs univers aussi riches que complexes. Après Michael Mann et Christopher Nolan, Un monde parfait selon Ghibli ouvre les portes du mythique studio japonais, créé par le duo iconique Hayao Miyazaki / Isao Takahata.

Comment est né le fameux studio Ghibli ? Comment expliquer la magie de ses films, à la beauté sublime, aux messages forts et au succès historique ? Dans Un monde parfait selon Ghibli, Alexandre Mathis analyse les rouages d’une machine bien huilée, d’un macrocosme artistique, d’un empire dont le départ de ses deux maîtres semble tragiquement pousser vers le déclin.

Ghibli n’est au départ qu’une inscription apposée sur un avion de reconnaissance italien. Un nom choisi par hasard par un Hayao Miyazaki passionné d’aviation. Mais dès 1997 avec Princesse Mononoké, et surtout depuis 2002 grâce à la popularité du Voyage de Chihiro, il acquiert une renommée mondiale. Son style et sa technique largement éprouvés demeurent encore aujourd’hui un modèle unique, dont les réalisateurs japonais de la nouvelle génération ne semblent pas oser se détacher. Des dessins traditionnels, des personnages aux traits réalistes, des récits mêlant parcours initiatique et satire sociale, auxquels s’ajoute un certain goût pour le rêve et le merveilleux.

Alexandre Mathis retourne aux sources qui ont inspiré les œuvres du studio Ghibli en les comparant intelligemment à l’univers du conte. Le personnage de Ponyo, un poisson qui voudrait devenir humain, fait ainsi indéniablement penser à la Petite sirène. Le maléfice brisé par l’amour dont est atteinte Sophie dans le Château ambulant ressemble étrangement à celui de la Belle et la Bête. Quant au voyage de la jeune Chihiro dans le monde des esprits, il s’apparente aux aventures d’Alice aux pays des merveilles.

Dans son analyse, l’auteur s’attache également aux personnages des films Ghibli, en particulier aux femmes. Les animés du studio japonais ont en effet toujours accordé la part belle aux protagonistes féminins en mettant en scène des héroïnes fortes, au caractère souvent bien trempé. Les guerrières de Nausicaa, la Vallée du vent ou de Princesse Mononoké ne tirent pas leur statut de princesse de leur naissance, mais de leurs actes, et sauvent le monde en arrêtant des conflits. Même lorsqu’elles ne combattent pas, elles se révèlent toujours courageuses, à l’instar de Sophie, de la petite Chihiro, et de la sorcière Kiki. Elles accomplissent même des tâches typiquement masculines, comme Arrietty qui utilise son aiguille comme une épée, et les femmes protégées par Dame Eboshi dans Princesse Mononoké, qui actionnent les forges. Ce sont aussi des femmes indépendantes qui luttent pour gagner leur émancipation, à l’image de la Princesse Kaguya qui se joue de ses prétendants pour éviter un mariage forcé. Cette place essentielle accordée aux femmes constitue bien une des marques de fabrication des studios Ghibli. Présenter un modèle de bravoure, inciter les petites filles à affirmer leur place dans la société devient presque un leitmotiv.

Un monde parfait selon Ghibli expose une autre spécificité des œuvres du studio, l’habile mélange entre le réel et l’imaginaire, avec une dominance différente selon le réalisateur. Isao Takahata préfère ainsi le réalisme, les scènes de la vie courante que l’on retrouve notamment dans Pompoko. Au contraire, Hayao Miyazaki imbrique ses histoires dans un cadre magique, avec des sortilèges et des animaux fantastiques. Pour autant, il ne délaisse pas les moments de la journée quotidienne, comme dans Kiki la petite sorcière, où la jeune héroïne crée un système de livraison dans une boulangerie. La séparation entre le monde réel et le monde imaginaire est d’ailleurs représentée spatialement, à l’instar du tunnel que franchit Chihiro, conduisant vers l’univers spirituel.

Alexandre Mathis traite également de l’idéal de pacifisme diffusé dans les films de Miyazaki. Si ce dernier semble glorifier les avions, dans Porco Rosso et Le vent se lève, c’est aussi pour montrer leur pouvoir de destruction. Il critique l’aveuglement créatif de Jiro, un brillant ingénieur qui n’a pas pris conscience des morts provoquées par ses engins de guerre. La technologie dévastatrice cachée dans la cité du Château dans le ciel donne un autre exemple de ces machines meurtrières, rappelant le traumatisme des bombes lâchées au Japon pendant la seconde guerre mondiale.

Un monde parfait selon Ghibli explicite encore l’importance de la nature dans les œuvres du studio en évoquant le shinto. Selon cette doctrine, toute chose dans le monde possède un esprit incarné par une créature vivante, désignée sous le nom de Kami. Ainsi, le grand esprit de la forêt dans Princesse Mononoké se présente sous la forme du dieu cerf. Chez Hayao Miyazaki, la nature reste un havre de paix à protéger, mis à mal par l’Homme, mais devient aussi une force capable de se défendre, de reprendre ses droits, tout comme les animaux de Nausicaa de la Vallée du vent et de Princesse Mononoké. Isao Takahata donne également à voir un idéal d’harmonie entre l’Homme et la nature, en particulier dans Pompoko et Mes voisins les Yamada.

Malgré la richesse exceptionnelle des films de Ghibli, Alexandre Mathis s’interroge sur l’avenir du studio. Avec la mort d’Isao Takahata le 5 avril 2018 et la retraite annoncée de Hayao Miyazaki, Ghibli devra se tourner vers de nouveaux réalisateurs qui peinent aujourd’hui à émerger. Hiromasa Yonebayashi, metteur en scène de Souvenirs de Marnie, dernier animé du studio sorti en 2014, et Goro Miyazaki, le fils d’Hayao, ne sont pas encore parvenus, malgré leur talent, à égaler leurs aînés. Le départ des deux maîtres, qui semblent toujours rechercher leur digne héritier, a certainement marqué la fin d’une ère créative et des studios Ghibli.

Mais on peut supposer qu’un jour, le phœnix renaîtra de ses cendres. La création en 2015 des studios Ponoc, qui a récemment lancé son premier film, Mary et la Fleur de la sorcière, réalisé par Hiromasa Yonebayashi, pourrait le laisser penser. Dans tous les cas, l’animation japonaise a encore de beaux jours à vivre et peut louer Un monde parfait selon Ghibli pour nous en avoir fait découvrir une des plus somptueuses parcelles. 

Résumé de l’éditeur – Un monde parfait selon Ghibli

C’était d’abord un choix pratique : personne ne voulait produire leurs films. Alors Hayao Miyazaki et Isao Takahata, aidés de Toshio Suzuki, ont fondé ensemble le studio Ghibli. Depuis, ils ont enchaîné les succès, de Princesse Mononoké à Pompoko, du Tombeau des lucioles au Voyage de Chihiro. Leurs personnages, comme Totoro et Porco Rosso, sont devenus emblématiques, et les œuvres du studio ont marqué des générations entières de fans à travers le monde, comme si Ghibli était un équivalent japonais de Disney. Bien plus qu’une marque et au-delà d’une simple usine à rêves, Ghibli offre avant tout une vision d’un monde idéal, fondé sur l’écologie, le féminisme, l’ingénierie et les croyances magiques. Un monde parfait selon Ghibli explore les histoires créées par le studio, les décortique, en les mettant en perspective avec la carrière de leurs créateurs, avec en toile de fond une question lancinante : Ghibli survivra-t-il à la retraite de ses fondateurs ?

Fiche technique – Un monde parfait selon Ghibli

Auteur : Alexandre Mathis
Editeur : Playlist Society
Date de parution : 25/09/2018
Format : 14 x 18,4 cm
Nombre de pages : 176

Redacteur LeMagduCiné