Aux éditions Glénat, dans la collection « Ubisoft », paraît la bande dessinée Watch Dogs Legion. Une dystopie prenant pour cadre un Londres ballotté par la mafia, l’État policier, les révolutionnaires du collectif Dedsec et un contexte social des plus interpellants.
Il y a des couvertures plus révélatrices que d’autres. Celle de Watch Dogs Legion ne laisse planer aucun doute. Le « Keep calm and resist », les drones survolant les rues, l’univers cyberpunk donnent quelques indications précieuses sur la société portraiturée par Sylvain Runberg et Gabriel Germain. En adaptant le blockbuster d’Ubisoft (deux millions de joueurs en France, quatrième franchise la plus populaire de la firme), les deux bédéistes (re)façonnent un futur rendu au dernier degré du désespoir. Leurs vignettes nous font en effet passer du Kennington Oval Camp, où sont abrités des « déportés » vivotant péniblement (ils dorment dans des tentes, on leur sert une soupe peu ragoûtante), au pont de Westminster assailli de drones et investi par les officiers d’Albion. Il y a là, dans cette appellation, symboliquement, de quoi amalgamer les forces de sécurité et la Grande-Bretagne tout entière. Non seulement « Albion » est l’ancien nom de l’État britannique, mais en plus cette police spéciale, cœur de Watch Dogs Legion, occupe rien de moins que la London Tower, lieu de pouvoir et puissant symbole d’oppression, qui fut historiquement une résidence royale doublée d’une prison. Plus prosaïquement, Sylvain Runberg et Gabriel Germain nous introduisent dans un café où les serveurs sont remplacés par des drones, puis nous invitent à considérer Londres, dans sa première représentation extérieure, à travers un environnement urbain et des panneaux lumineux (enseignes de tatouage ou de prostitution) assez peu engageants.
Difficile de ne pas songer à Black Mirror ou V pour Vendetta. Watch Dogs Legion emprunte les dérives technologiques du premier et la contestation radicale du second. Olivier Tesquet et ses « nouveaux territoires de la surveillance » ont également une résonance particulière : ici, les drones vous épient, la technologie est omniprésente (robots-serveurs, drones-enceintes, lentilles infravidéo…) et les e-token électroniques remplacent nos monnaies physiques. Les représentations de Londres apparaissent à la fois fidèles et désenchantées : la fontaine de Piccadilly Circus est reconnaissable au premier coup d’œil mais elle est taguée d’un « Albion is devil » et quadrillée par les couchettes des sans-abris. Les docks de Camden Market sont dessinés avec exactitude, mais on y entrepose l’alcool écoulé par la mafia locale, dirigée par Mary Kelley. Cette dernière organise des rapts dans les camps de déportés pour du travail clandestin et est en cheville avec la députée Hilda Treamarg. La corruption est telle que seuls les journalistes sous couverture de la Worldwide Free Press semblent capables de la percer à jour. Le sentiment d’abandon des associations humanitaires (« Le gouvernement n’en a rien à foutre des gens qui sont parqués ici ») le dispute aux obsessions politico-policières (les cadres d’Albion déclarant que « Dedsec est de loin l’entité la plus dangereuse » de Londres).
Watch Dogs Legion est un diptyque. Cette première partie comprend différents arcs narratifs qui se rejoignent à la faveur d’une rave party de DJ Spiral, « une star de la scène underground » qui emploie des basses fréquences pour donner « une dimension physique au ressenti de la musique ». C’est là-bas que tous les protagonistes vont converger et se rencontrer : Louise, présentée comme une « Australienne diplômée en économie environnementale » désormais engagée dans « le plus grand camp de déportés de Londres » ; Jess, « une brillante développeuse », elle aussi au service de l’ONG Help for deportees ; « Oscar l’hédoniste et Niki la libertarienne » ; Widowmaker, qui fait de la sécurité en dilettante tandis qu’Albion cherche à la recruter ; Kris, qui travaille pour Mary, lui fauche de l’alcool et utilise l’un de ses bâtiments vides pour organiser la rave party de DJ Spiral… En toile de fond, on a le chantier de Finsbury érigé en haut lieu du blanchiment d’argent ou les infiltrations du clan Kelley dans le camp de déportés, qu’il incendie sans le moindre scrupule… Sans être brillant ni particulièrement original, Watch Dogs Legion se montre rythmé, dense et choral. Et il n’hésite pas à décocher quelques flèches d’une actualité brûlante, notamment sur les conspirationnistes ou le mouvement anti-vaxx. C’est suffisant pour avoir envie de découvrir la suite de cette bande dessinée cyberpunk.
Watch Dogs Legion, Sylvain Runberg et Gabriel Germain
Glénat, décembre 2020, 64 pages