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« Vergès » : « Je crois en l’aristocratie du courage »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Glénat publient Vergès, du scénariste Jean-Charles Chapuzet et du dessinateur Guillaume Martinez. Les auteurs se penchent sur la vie du « plus controversé des avocats du XXe siècle », en s’appuyant notamment sur un entretien qu’il a accordé, à son crépuscule, à Jean-Charles Chapuzet.

Dans une démocratie consolidée, chacun le sait, tout individu a droit à un procès équitable et à la défense d’un avocat. Cependant, il n’est pas rare que l’opinion s’élève, sous le coup de l’émotion, contre les représentants d’un inculpé jugé indéfendable, notamment dans le cas de procès retentissants, touchant par exemple au terrorisme ou à la pédophilie. À certains égards, Jacques Vergès, qui ne se faisait pas prier pour entretenir son caractère sulfureux, a lui-même fait les frais de cette ambivalence. Il n’est ainsi guère étonnant de le découvrir, dans cet album biographique, se définissant comme « l’avocat de toutes les résistances » et vouant aux gémonies les « droit-de-l’hommistes à la conscience obèse ».

Mais remontons un peu dans le temps. « Je me suis senti très tôt différent, mais sans subir de complexe d’infériorité. Au contraire… », déclare-t-il au moment de revenir sur son enfance. L’ex-avocat est alors un métis en voie d’être « délivré de tous les conformismes ». Son père est un ancien diplomate marié à une Vietnamienne. Cette dernière disparaîtra de manière précoce, le laissant seul avec son frère et un paternel devenu médecin et communiste, ayant une « phobie pour l’argent ». Dans les années 1930, il apprend à se défendre face à des voyous plus forts que lui sur l’Île de la Réunion, puis découvre les abjections du colonialisme à Madagascar. Ces séquences de flashback, dans une veine sépia tranchant avec le noir et blanc du temps présent, le montrent ensuite résistant en 1942, logeant à Coblence peu après, dans une Allemagne défaite où il apparaît « différent des autres soldats ivres d’arrogance » et, enfin, occupé à « parcourir le monde comme révolutionnaire professionnel ».

Jacques Vergès va faire d’un hôtel un lieu de rassemblement clandestin où se croiseront notamment Pol Pot et Masmoudi. Il va défendre le FLN et se marier à la poseuse de bombes Djamila Bouhired. Faire la rencontre de Mandela ou Malcolm X. Subir le courroux du Mossad. Défendre Klaus Barbie comme le jardinier Omar, accusé d’avoir commis un assassinat. « Faire son devoir sous les crachats est jouissif », lâche-t-il comme une provocation. Sur ses années de disparition, on ne saura rien, ou presque. Ses sympathies politiques et son penchant pour les causes perdues sont plus connues. « Le socialiste se ménage une porte de sortie. Le communiste, lui, fait sauter les ponts derrière lui », commente-t-il, lui dont la France libre et l’Algérie indépendante demeurent les deux grandes guerres victorieuses.

Vergès a davantage d’intérêt pour sa capacité à sonder l’homme que pour la manière dont il rend compte de la carrière de l’avocat. Superbement mis en vignettes par Guillaume Martinez, l’album passe certes superficiellement en revue les grandes affaires de cet « avocat du diable », mais il s’arroche surtout à toutes les aspérités que laissent entrevoir sa personnalité ou ses confidences à Jean-Charles Chapuzet. Au bout du compte, on est frappé par l’authenticité de ses luttes mais soupçonneux d’une tentation éprouvée de se mettre en scène. Mais l’évocation de cette figure controversée a un autre mérite : celui d’exposer une nouvelle fois la duplicité des démocraties occidentales, promptes à jouer les pompiers d’un monde qu’elles ont arrosé d’acétone.

Vergès, Jean-Charles Chapuzet et Guillaume Martinez
Glénat, septembre 2022, 128 pages

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