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« Un flic sous l’Occupation » : l’ombre du crime

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Un polar tendu dans le Paris occupé, où la frontière entre justice et compromission s’efface dans la grisaille de l’Histoire. Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot reviennent aux années noires pour interroger, à travers le destin d’un inspecteur, les dilemmes moraux d’une police prise dans l’étau de la collaboration.

Bienvenue dans le Paris des années 1940, où l’ombre allemande s’étend sur les façades et les consciences. C’est dans cette atmosphère d’angoisse et de suspicion que Richelle et Beuriot installent leur nouvelle série. Un polar historique, mais surtout une interrogation éthique : comment faire son métier de policier dans une France devenue État policier ?

Au cœur du récit : l’inspecteur Marsac, épaulé de Brunet et Mercadier, enquête sur un double meurtre sordide : un couple âgé, cambriolé puis exécuté avec une froideur méthodique. Les circonstances rappellent à Marsac le mode opératoire d’un certain Lucien Grenier, tueur arrêté avant-guerre et que la justice aurait dû garder sous clef. Mais l’Occupation redistribue les cartes : Grenier, libéré par les Allemands, coule désormais des jours confortables à Neuilly en travaillant pour les officines de l’Occupant. Le scandale n’est pas isolé : truands et repris de justice grossissent les rangs de cette collaboration utilitariste, où la délinquance trouve une nouvelle légitimité, un nouveau costume.

Richelle, familier de ces reconstitutions où l’intime rencontre la grande Histoire, et Beuriot, dont le dessin réaliste avait déjà donné chair à Amours fragiles, scrutent ici les bas-fonds d’une société pervertie par l’Occupation. Leur récit plonge dans la dualité de cette époque : la tentation de démissionner (comme le commissaire Fleury, qui refuse de se compromettre), ou celle de continuer à « faire le travail », malgré les compromissions inévitables. Car dans le Paris de 1941, tout devient affaire de choix – choix d’un métier, d’une loyauté, parfois de survie.

Loin des exaltations de la Résistance, l’album s’attache aux nuances grises : petits trafics, arrangements, complaisances. Mercadier lui-même, jeune inspecteur, vacille entre devoir et convictions, tandis que Marsac se retrouve face à son pire paradoxe… L’inversion des rôles dit tout de la fragilité de cette période, où les repères se brouillent, où l’ordre et le désordre échangent leurs uniformes.

Le titre même, Un flic sous l’Occupation, résonne avec une filiation cinématographique assumée. On pense forcément à Melville (L’Armée des ombres, puis Un flic en 1972). Mais là où Melville exaltait la grandeur sacrificielle des résistants, Richelle et Beuriot s’intéressent aux coulisses, aux couloirs obscurs, aux visages anonymes contraints de naviguer dans la compromission.

Ce premier tome, annoncé comme l’ouverture d’un diptyque, installe une tension durable : polar rigoureux dans sa mécanique, fresque historique dans son arrière-plan, il ouvre surtout une réflexion intemporelle. Car au-delà de l’Occupation, la question demeure, brûlante et sans réponse : qu’aurions-nous fait, nous, face à ces dilemmes, dans cette zone grise où l’héroïsme n’est jamais certain et la compromission souvent plus simple ?

Un flic sous l’Occupation, Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot
Glénat, octobre 2025, 56 pages

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