Depuis la fin du deuxième volet de cette trilogie, quelques mois ont passé. Nina et Slava sont les heureux parents d’une petite Vera. Grâce à un habile stratagème, ils s’occupent de la mine en autogestion avec les ouvriers qui ont contribué à son rachat.
On serait presque tenté de dire que pour Slava, Nina et le père de celle-ci, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Mais, ce serait oublier que le monde en question n’est autre que la Russie issue de la chute de l’URSS, un pays livré aux affairistes de tout poil dont les deux premiers volets nous ont présenté quelques exemples hauts en couleurs. Outre Lavrine avec qui Slava a tout appris du métier, nous avons constaté que de dangereux mafieux restent à l’affût des bonnes affaires. Ces personnages reflètent l’âme slave qui laisse entendre que toutes les histoires finissent mal…
Retour à Moscou
Slava surveille essentiellement ceux qui s’occupent de la remise en état et de l’entretient des machines, pendant que Nina tient les comptes et traite avec les fournisseurs et les clients. Plus détendu, Slava a pu se remettre à sa passion : la peinture. Sa production étant suffisamment importante en quantité et correcte en qualité (à ses yeux), Slava se décide à venir la proposer à Moscou. Pour cela, il traite avec un intermédiaire qui connait bien le marché de l’art. En dehors du système depuis trop longtemps, Slava se montre disposé à faire comme s’il débutait et à traiter avec un négociant de seconde zone.
Préparation de l’épilogue
Ce troisième et ultime volet de la série Slava commence presque mollement, surtout en comparaison avec les deux précédents. On observe même que le dessin est un poil moins soigné, moins fin dans certains détails. Pourtant, Pierre-Henry Gomont utilise la même technique, les mêmes couleurs pour décrire les mésaventures des mêmes personnages (en tenant compte par exemple que, bien que discret, Lavrine est toujours vivant), dans des décors qui vont de la mine à la ville qui inspirent au dessinateur quelques vignettes grand format qui valent le détour, ainsi qu’une belle collection de bons mots. Peut-être Pierre-Henry Gomont commence-t-il à se lasser un peu de cet univers voué à la déliquescence, malgré son aptitude personnelle inchangée à faire sentir les mouvements, les caractères entiers de ses personnages et l’ambiance inimitable au sein de laquelle ils évoluent. On note quand même que Slava est ici le narrateur et que cela nous vaut pas mal de texte, un peu trop par moments si vous voulez mon avis, mais aussi une indication sur comment tout cela va se terminer. Une lecture attentive permet néanmoins d’ajuster la première impression : une planche de cet album, quelle qu’elle soit, vaut nettement plus que la plupart des productions BD du moment.
Générosité contre cynisme
Bien évidemment, les surprises vont s’enchainer, et justifient largement l’épaisseur de cet épilogue (104 planches) et l’ampleur de la fresque produite par l’ensemble. L’antagonisme entre les amis de Slava et ceux qui convoitent la mine persiste. Ce groupe bénéficie d’appuis hauts placés soutenant des personnages sans scrupules. Face à eux, des idéalistes qui mettent toute leur volonté dans la poursuite d’un objectif qui flirte avec l’idéalisme et donc avec l’irréalisme. Dans le contexte de la Russie de l’époque, cela nous vaut de nouveaux moments de tension et de drame. Surtout, le dessinateur nous fait sentir toute la tendresse qu’il met dans les personnages principaux (visiblement inspirés de celles et ceux qui lui tiennent le plus à cœur dans la vie, ceci expliquant cela), ce qui renforce les émotions fortes que le final nous réserve.
Réflexions d’artiste
Et puis, Pierre-Henry Gomont met toute sa réflexion d’artiste dans un nouveau face à face entre Slava et Tatiana, celle qui lui a tout appris et à qui il vient présenter sa production du moment. Cela ne représente que trois planches, mais tout y est de ce que l’art peut être et transmettre, ainsi que la difficulté et les exigences pour y arriver. Il est bien évident que ces réflexions valent pour toute forme artistique, mais qu’elles sont au cœur de ce que recherche le dessinateur. Tout cela est à mettre en regard du curieux mécanisme qui permet la mise en valeur des œuvres de Slava, puis leur vente, avant une révélation qui donne beaucoup à réfléchir. Alors, même si cet album n’est pas le plus réussi de cette trilogie, on peut considérer qu’en mettant en place un système de machinations qui débouchent sur une tragédie, Pierre-Henry Gomont met en scène ce qu’il avait probablement en tête depuis le début et il va jusqu’au bout de sa démarche. Bouleversant, l’épilogue nous livre une conclusion à la hauteur de ce que le dessinateur cherche à transmettre, à savoir que l’essentiel dans la vie consiste à aller au bout de ses idées (et même ses idéaux), quitte à consentir à des sacrifices insensés, ce que font ses personnages, y compris Lavrine. Cet épisode est donc à la hauteur de l’ensemble, malgré une conclusion déchirante.
Slava 3 : Un enfer pour un autre, Pierre-Henry Gomont
Dargaud : parution le 6 septembre 2024