Dans The Big Burn, les véritables flammes ne viennent pas des enfers : elles brûlent dans les replis du désir, de la trahison et de l’amour défait. Joe Henderson et Lee Garbett charpentent un récit dans lequel le Diable se nourrit de la détresse et des frustrations humaines.
Tout commence comme un polar : Owen et Carlie, duo de braqueurs à la Bonnie & Clyde, se découvrent par hasard lors d’un casse. Leur plan dérape quelque peu, et dans leur cavalcade, les deux futurs amants apprennent à s’apprécier. Les dialogues le disent avec ironie : « Et ton plan, c’était de te préparer minutieusement à toute éventualité sans pour autant pouvoir entrer dans le coffre ? » Leur relation se construit sur ce mélange explosif d’adrénaline et de maladresse, de calcul et de chaos.
Puis la justice les rattrape, et avec elle, l’irruption du surnaturel. Enfermé, Owen prie, supplie, offre tout pour sauver Carlie. Mais la réponse ne vient pas d’en haut. Elle surgit du bas, d’un homme aux longues tresses, en costume clair, dont la simple présence envahit la cellule d’une sorte de cendres charbonneuses. Le Diable n’a pas besoin de se présenter : il s’installe, accorde le pacte sans même le formuler, et rappelle que la monnaie d’échange n’a rien de matériel : « Votre liberté contre vos âmes. » Joe Henderson a l’intelligence de ne pas faire du Prince des Ténèbres un démon de caricature, mais une figure affable, presque élégante, qui se joue de ses victimes comme d’un public conquis.
C’est alors que le récit bascule. L’Enfer prend la forme d’un casino monumental, théâtre parfait des illusions et des espoirs inassouvis. « Rien n’est plus ennuyeux qu’une torture incessante », explique le Diable. La véritable punition, c’est la promesse perpétuellement différée, « toucher du doigt son rêve sans jamais pouvoir l’atteindre ». De ce décor surgit une évidence : l’Enfer n’est pas l’autre monde, il est notre monde amplifié, saturé de désirs, de jeux et de péchés. « On croirait qu’ils l’ont créé juste pour moi », se délecte l’hôte infernal en guidant Owen parmi les tables de jeu.
Le « braquage ultime » d’Owen et Carlie se prépare cependant. Il consiste à voler leurs âmes dans l’Enfer-casino du Diable. Car sans elles, ils ne ressentent plus rien, ils sont vivants mais vides. Toute la seconde partie du récit tourne autour de cette préparation : recruter une équipe de désespérés, élaborer un plan et surtout trouver le moyen de « mourir » pour descendre en Enfer… puis de revenir. Ce n’est pas un simple casse à la Ocean’s Eleven. Le braquage n’est pas seulement technique, mais aussi psychologique et existentiel. Le Diable a enfermé leurs âmes dans une chambre forte, mais il les tient surtout par leurs failles : leurs péchés, leurs culpabilités, leurs mensonges, leurs désirs…
Le Diable, pourtant, n’est pas si éloigné d’eux qu’il le croit. Lorsque Carlie le provoque – « Vous êtes comme nous » –, il s’énerve, gronde et vacille. Derrière sa superbe, il cache la même faille : un vide impossible à combler, qu’il dissimule derrière le jeu et la manipulation. À cet instant, on comprend que The Big Burn n’est pas seulement l’histoire d’un pacte faustien transposé dans un polar : c’est une réflexion plus large sur la dépendance, sur cette incapacité à se libérer de ce qui nous détruit.
En fin de lecture, on garde ainsi l’impression d’avoir traversé une parabole moderne : celle d’un couple qui croyait jouer avec le feu, mais qui a découvert que l’incendie venait de l’intérieur. Le grand coup, le « braquage ultime », n’était peut-être pas de récupérer leurs âmes, mais de réaliser qu’elles leur avaient échappé bien avant le pacte. On en prend conscience au détour d’un récit haletant, rondement mené et terriblement efficace.
The Big Burn, Joe Henderson et Lee Garbett
Delcourt, septembre 2025, 168 pages





