Satanisme et écoresponsabilité voit le jour aux éditions Dupuis. Avec beaucoup d’ironie, Loïc Sécheresse y dépeint Satan en vigie écologiste.
Satanisme et écoresponsabilité fait l’économie de la grammaire habituelle des bandes dessinées : dépourvu de cases et de moments de contemplation, réduisant le dessin à ses esquisses, il repose en grande partie sur les détournements qu’opère le scénariste et dessinateur Loïc Sécheresse, qui érige Satan en vigie écologiste. En effet, si les comportements anti-environnementaux dévastent la Terre au point d’y menacer l’espèce humaine, comment ce dernier pourrait-il continuer à pervertir les hommes ? Cette interrogation délicieusement ironique sous-tend certes l’album, mais elle se voit enveloppée de réflexions plus vastes, dont la dimension sociale et philosophique n’apparaît qu’en seconde intention, puisque la succession des événements fait surtout le lit de l’humour.
Les deux premiers « procès » que Satan dispense à l’humanité concernent les trottinettes électriques, faussement éco-responsables, et les terrasses chauffées, vues comme une aberration antinomique (pourquoi sortir dans le froid si on aspire au confort d’une pièce chauffée ?). En quelques pages apparaît la substance de Satanisme et écoresponsabilité : le capitalisme et les besoins artificiels des hommes mettent en péril la perpétuation de nos modes de vie, lesquels s’inscrivent en inadéquation avec la pérennité des écosystèmes. Et ce ne sont certainement pas ces goélands devenus accros aux chips qui vous diront le contraire… Très vite, Satan, bizarrement assimilé à… un chaton, devient l’icône d’un mouvement écologique. On brûle les SUV, on verdit le black metal (plus d’enceintes électriques, mais des ukulélés), on édifie une Église chatonnique, on claironne partout que « l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas »…
Au-delà de la pertinence des constats qu’il pose, Loïc Sécheresse fait essentiellement mouche grâce à sa science de l’absurde. Qu’il s’agisse des clivages des Gilets jaunes sur l’environnement ou d’un ministre de l’Écologie dépeint en suppôt du Diable, Satanisme et écoresponsabilité ne cesse de produire de l’ironie en jet continu. On y verra par exemple un présentateur télévisé regretter l’absence de victimes (c’est moins sensationnaliste) et ensuite un intervenant déclarer avec hypocrisie qu’il profite de sa pause-déjeuner pour aller sauver des loups en montage à bord de son pick-up. L’organisation d’un grand sommet, au cours duquel Cthulhu finit par s’opposer à Satan, nourrit également, avec humour, une bonne part de l’album.
Il y a évidemment une certaine incongruité à entendre Satan chanter les louanges, du matin au soir, des oiseaux ou des fleurs, qui tendent à le relaxer. De la même manière, l’organisation d’une ZAD dans les marmites de l’enfer n’est pas sans un certain sens de l’absurde. Il en va ainsi de tout Satanisme et écoresponsabilité : Belzébuth, un brin jaloux, dispute à Satan la paternité d’un capitalisme mortifère ; et, par souci écologique, il se voit offrir en guise de remerciement… un bout de bois. Plus loin, c’est le toutologue Christophe Barbier, à peine caricaturé, qui décrit une grande surface comme un « si beau temple de la démocratie ». Les tsunamis et les réfugiés climatiques ne tarderont pas à poindre…
Par ses partis pris figuratifs ou l’absence de respirations, Loïc Sécheresse risque de laisser certains lecteurs sur le bord du chemin. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il pose un regard satirique sur un monde en voie de décrépitude. Finalement, cet album frappé au coin du non-sens entre en résonance avec nos comportements de consommateur rarement judicieux.
Satanisme et écoresponsabilité, Loïc Sécheresse
Dupuis, février 2022, 208 pages