Les éditions Dupuis publient Saison de sang, du scénariste Si Spurrier et du dessinateur Matias Bergara. Initialement divisé en quatre parties, ce récit entièrement muet, d’une grande inventivité visuelle, se révèle à la fois haletant et fascinant.
Comment raconter une histoire complexe, mêlant l’intime et le spectaculaire, sans avoir recours au moindre dialogue ? Par quels biais installer un univers foisonnant, aux enjeux significatifs, quand les quelque 200 planches proposées par l’équipe créative s’avèrent entièrement dénuées de textes – à l’exception notable de brèves introductions métaphoriques ? Ces deux questions, auxquelles ont fait face le scénariste Si Spurrier et le dessinateur Matias Bergara, arborent une même réponse : en portant vers le haut le degré d’exigence exprimé vis-à-vis du lecteur. Ainsi, dans un album où l’apport (en sens, en émotion) de l’auteur, du dessinateur et du coloriste tend à s’équivaloir, c’est à travers une nuée de détails, l’ingéniosité des planches et des significations parfois flottantes que chacun est appelé à appréhender un récit d’une richesse insoupçonnée.
Peut-être faut-il voir dans Saison de sang une elliptique fuite en avant. Une fillette et un guerrier géant en armure parcourent ensemble, dans un voyage en apparence déterminé, une grande variété de régions, qui constituent pour Matias Bergara autant d’occasions de faire valoir son talent. Chaque page fourmille de sophistications ; et si l’album, hors introduction, a pour seuls éléments textuels des phylactères fixés dans une langue imaginaire, c’est son langage visuel qui va en baliser la lecture, selon une grammaire maniée en clerc. Et tandis qu’une série d’écueils et de prédateurs se dressent sur la route de nos deux héros, Matheus Lopes déploie une gamme de couleurs, volontiers pastel, qui insufflent à l’histoire poésie et émotions, en plus d’en accompagner le développement selon des codes différenciés.
Richesse des paysages, iconicité des plans, ronde des monstres et des personnages… Si ces éléments contribuent évidemment à caractériser Saison de sang, ils passent néanmoins sous silence une composante essentielle du récit : la relation filiale, pleine de tendresse et d’humanité, entre un géant protecteur et une fillette virginale, laquelle se voit plongée dans un monde menaçant et corrompu. Parce qu’elle a soif de liberté, cette dernière, en grandissant, cherche de plus en plus à s’émanciper de l’emprise de ce guerrier en armure. La main dans laquelle elle s’est reposée, le doigt auquel elle s’est cramponnée, elle s’en détourne désormais, dans une quête de soi mêlant peur, résistance et éveil. En cela, Saison de sang n’est pas seulement beau, astucieux et haletant, il porte aussi en son sein une ode à l’amitié contrariée par l’instinct de prédation et de domination des hommes. Pour en appréhender au mieux la teneur, il ne vous reste plus qu’à vous lancer à corps perdu dans cette aventure palpitante…
Saison de sang, Si Spurrier et Matias Bergara
Dupuis, juin 2022, 192 pages