Avec Rectificando : Famille de sang, Didier Convard et Denis Falque racontent comment une secte de chrétiens fondamentalistes cherche à s’emparer du pouvoir en se rendant coupable d’actes terroristes.
Un homme prend la fuite dans le parc privé d’un manoir. Plusieurs assaillants le poursuivent, le rattrapent, puis l’assassinent. Il faut parcourir plusieurs plages avant de comprendre les tenants et aboutissants de cette introduction : Clément Melan était un journaliste infiltré dans une secte de chrétiens fondamentalistes et il se trouvait en possession de documents très compromettants. La « Fratrie », placée sous le patronage de Leonard Speenware, est une pépinière produisant en série des industriels, des avocats, des cadres de l’Administration et même des hommes politiques. Sous un vernis religieux, elle abhorre les communistes, les athéistes, les homosexuels et les féministes, une description qui se conforme étrangement aux observations formulées par le journaliste Chris Hedges dans son essai Les Fascistes américains.
Une organisation secrète, le Triumvirat, envoie un rectificateur sur les lieux du crime (maquillé en accident). Il s’agit pour ce dernier et son équipe de récupérer un téléphone portable supposé contenir des éléments à charge que la « Fratrie » voudrait voir disparaître. Didier Convard et Denis Falque charpentent à cet effet une palpipante séquence nocturne, au cours de laquelle apparaît le personnage d’Anaïs, la sœur du journaliste. C’est suite à cette rencontre inopinée que Rectificando : Famille de sang livre tous ses secrets : Clément Melan était sous double couverture et la « Fratrie » prépare en réalité un attentat visant le président de la République, cela afin d’installer aux commandes du pays l’un de ses protégés, le ministre Langlois. Ce dernier, ainsi que sa relation avec le président en exercice, peuvent rappeler à certains égards Emmanuel Macron et François Hollande. Le premier doit sa carrière politique au second, a les faveurs des milieux financiers et apparaît à la fois plus jeune et fougueux. En sus, le chef d’État de Rectificando possède des ressemblances troublantes avec l’ancien président socialiste.
« Le grand mouvement de purification est venu », croit-on savoir dans les rangs de la « Fratrie ». « Il n’est qu’un pantin dont je tire les ficelles », avance même maître Dumesnil au sujet de celui qui occupe le Palais de l’Élysée. Il ne faut pas s’y tromper : si l’intrigue de ce nouveau spin-off du Triangle Secret semble exagérer la menace fondamentaliste chrétienne, les ressorts qui l’animent sont quant à eux bien réels. Et bien que le cheminement de l’histoire soit relativement convenu, il est plaisant de creuser plus avant les milieux sectaires et politiques, entre aveuglement doctrinaire et manipulations sournoises. L’album se leste en outre de plusieurs références directes (Spawn ou The Dark Knight), délivre un sous-propos sur la cohésion nationale et rappelle à quel point la santé des présidents peut être sujette à débat en France (Denis Demonpion et Laurent Léger, coauteurs du Dernier tabou, en savent quelque chose).
Rythmée, soignée sur le plan visuel, la bande dessinée de Didier Convard et Denis Falque est attrayante à défaut de se montrer vraiment novatrice. Sa principale ressource réside sans doute dans la radiographie qu’elle livre d’une secte religieuse cherchant à exercer un pouvoir théocratique. On soulignera par ailleurs que les protagonistes, nombreux, ne manquent pas de chair : en quête de pouvoir, de romance, de réponses ou de divertissement, ils coexistent et parfois cohabitent sans pour autant partager les mêmes traits constitutifs et motivations.
Rectificando : Famille de sang, Didier Convard et Denis Falque
Glénat, novembre 2021, 56 pages