Chris Hedges se penche sur l’extrême droite chrétienne américaine. Prix Pulitzer et ancien correspondant de guerre pour le New York Times, l’essayiste réaffirme dans Les Fascistes américains l’importance politique d’une mouvance fondamentaliste aux velléités hégémoniques et totalitaires.
L’enquête que Chris Hedges consacre à la droite chrétienne américaine laisse peu de place à la nuance. Le journaliste et essayiste décrit une minorité active cherchant à imposer ses vues théocratiques au mépris des lois démocratiques et des enseignements scientifiques. Il évoque la requalification des femmes, soumises et dégradées, et l’impossibilité pour ces crypto-fascistes religieux de prendre langue avec des individus porteurs d’une opinion discordante. « Malgré la guerre sainte qui les oppose, la droite chrétienne et les islamistes radicaux se ressemblent de plus en plus. Ils partagent les mêmes obsessions. Ils ne tolèrent aucune autre croyance que la leur. Ils mènent une guerre contre les arts et l’expression culturelle. Ils cherchent à faire taire les médias. Ils prônent la soumission des femmes. Ils pratiquent une répression sexuelle sévère. Ils tendent à s’exprimer par la violence. »
Sur le plan politique, ce qui interpelle peut-être le plus, c’est la manière dont le parti républicain a été noyauté par cette droite chrétienne dont on a pu retrouver certains ambassadeurs lors de l’invasion récente du Capitole. Dotés d’une influence indexée à leur mainmise médiatique, les dominionistes rêvent d’initier une mutation de la démocratie occidentale vers une gouvernance régie par les principes religieux. « Les dominionistes contrôlent aujourd’hui au moins 6 réseaux de télévision nationaux, dont chacun atteint des dizaines de millions de foyers, et la quasi-totalité des 2 000 stations de radio religieuse du pays. S’y ajoutent des Églises, dont celles qui sont affiliées à la Southern Baptist Convention. Le dominionisme cherche à redéfinir certains termes et concepts démocratiques et chrétiens traditionnels pour les adapter à une idéologie qui prône une prise du pouvoir politique par les fondamentalistes extrémistes. »
Chris Hedges va même plus loin, en racontant comment les convertis sont peu à peu coupés de leurs relations sociales passées et enfermés dans une bulle cognitive ne faisant que confirmer des opinions, parfois extrêmes, patiemment inculquées et martelées. L’auteur revient abondamment sur le « recrutement » de personnalités vulnérables, ayant trouvé dans la mouvance fondamentaliste un baume apaisant, à la suite d’épreuves traumatisantes. Le conditionnement des enfants, notamment à travers la scolarité à domicile, le vernis scientifique anti-évolutionniste, les sympathies envers des groupes ouvertement racistes tels que le KKK, les lectures intégristes des récits de l’Exode ou de l’Apocalypse viennent compléter un tableau glaçant, où endoctrinement, prosélytisme et repli identitaire/religieux semblent marcher de pair.
Les effets pervers induits par cette droite chrétienne sont légion. Homophobie, hyper-masculinité, ennemis imaginaires, création de forces paramilitaires, profits financiers colossaux, intolérance vis-à-vis des autres croyances ne sont que quelques-unes des nombreuses problématiques soulevées par Chris Hedges. L’auteur note par exemple : « Dans les manuels publiés par Abeka, importante maison d’édition fondamentaliste, les croyances religieuses des Africains sont qualifiées de « fausses » ; l’hindouisme, lui, y est jugé « païen » et « maléfique ». Selon un manuel d’histoire de septième année publié par Bob Jones University Press, la rareté des conversions au christianisme en Afrique est due « à l’emprise de Satan sur les populations du continent ». Un manuel d’histoire du monde paru chez Abeka attribue la pauvreté et le chaos politique qui affligent la plus grande partie de l’Afrique à une foi insuffisante. »
Les Fascistes américains ne dresse pas seulement le constat accablant des conservatismes chrétiens. Perçu à l’aune du trumpisme, l’ouvrage de Chris Hedges corrobore une lecture politique selon laquelle certains groupes adopteraient volontiers une posture à la fois victimaire, communautariste, dogmatique et radicale. Les connivences politiques des chrétiens évangéliques américains ne souffrent par ailleurs aucune ambiguïté. « Comptant pour 28 % de l’électorat américain, ils ont appuyé l’ancien président, lors des élections de 2016 et 2020, à hauteur de 80 %. Même si la part de la population américaine blanche s’identifiant comme chrétienne est en déclin (ils ne seraient plus que 43 % aujourd’hui), leur influence sur le Parti républicain demeure incontestée : ils représentent près de 90 % des élus du Grand Old Party au Capitole. »
Les Fascistes américains, Chris Hedges
Lux, novembre 2021, 294 pages