Picsou-et-les-Bit-coincoins-avis

« Picsou et les Bit-coincoins » : quand Picsou découvre le monde moderne (à ses dépens)

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les temps changent, même à Donaldville. À l’ère des influenceurs juniors, des fortunes volatiles et des prisons connectées, Picsou n’a plus vraiment la main sur la manivelle de son coffre-fort. Dans Picsou et les Bit-coincoins, Jul et Keramidas signent un album irrésistible de malice et de satire, où le canard le plus riche du monde tente de surnager dans l’économie numérique… à coups de scrolls, de scams et de selfies flous.

Il est là, toujours en redingote rouge, haut-de-forme vissé et lorgnon prêt à jaillir d’un froncement de sourcil. Mais voilà : Picsou n’a plus la cote. Les cryptomonnaies ont remplacé les pièces sonnantes, les « followers » valent plus que les fortunes, et les neveux sont devenus des influenceurs spécialisés dans le décryptage de vidéos.

Face à lui, un nouveau prédateur : Carsten Duck, start-uppeur bodybuildé, hacker de génie et palmé jusqu’à l’arrogance, qui ne rêve que de siphonner la fortune virtuelle de son illustre aîné. Pour cela, il recrute les Frères Rapetou, fraîchement réinsérés grâce à un programme sponsorisé par… lui-même. Évidemment.

Le coup de génie du récit, c’est de croiser la trame traditionnelle des aventures de Picsou (le coffre, les cambriolages, les inventions de Géo Trouvetou…) avec des enjeux résolument contemporains : volatilité des actifs numériques, image publique, storytelling de soi et glissement du capital tangible vers le capital symbolique. Dans ce monde-là, le millionnaire doit tout réapprendre, souvent à grande peine et avec légèreté.

Mais Jul ne s’arrête pas à la satire. Il ajoute une couche d’émotion douce-amère à travers le retour de la vulnérabilité de Picsou. Ruiné, moqué, largué par la tech, le vieux canard tente une reconquête… cinématographique. Il tournee un biopic : « Rich Duck », film intimiste et « caméra à l’épaule », pour attendrir les foules. Il récolte quelques sous sur « Cuicui-Bankbank », le site de crowdfunding local, et met le projet en production. Mais tout ne se passe pas comme prévu.

Tout est là : l’ironie mordante sur les nouvelles formes de légitimation sociale, les clins d’œil à notre époque saturée d’images, et ce petit miracle de narration qui fait que même les gags les plus absurdes parviennent à servir une histoire cohérente, attachante et profondément drôle.

Graphiquement, Keramidas s’en donne à cœur joie : une ligne fluide, des expressions hilarantes, des décors aux mille détails (mention spéciale au volcan privatisé), et un sens du rythme parfait pour soutenir les dialogues à double fond. Un style à la fois old-school et furieusement vivant, qui restitue à merveille l’univers Disney tout en le tordant avec malice.

En refermant l’album, on sourit. Parce que Picsou reste Picsou, et que même ruiné, il brille d’un éclat indémodable : celui des héros dépassés, mais jamais défaits. Parce qu’on aime le voir râler, échouer, puis renaître sous les projecteurs d’un festival où il s’endort au moment de recevoir la Palme. Parce qu’au fond, on avait presque oublié à quel point on l’aimait.

Picsou et les Bit-coincoins, Jul et Keramidas
Glénat, octobre 2025, 56 pages

Note des lecteurs0 Note
4
[justwatch_list]
Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray