On ne fait pas de feu sous un arbre en fleur : bon sens ivoirien

Cet album est le troisième d’une série qui, après Un si joli jardin (2017) et Un homme tombe avec son ombre (2021) met en scène les enquêtes du commissaire Kouamé à Abidjan. Dessinée par Donatien Mary, elle est scénarisée par la Franco-Ivoirienne Marguerite Abouet qui, après une enfance à Abidjan, est venue en France à l’âge de 12 ans. On la connaît pour la série Aya de Yopougon dont l’action se situe dans un quartier d’Abidjan et qui s’inspire de ses souvenirs d’enfance. Ici l’album est scindé en deux parties, car Kouamé va être amené à poursuivre une enquête… en France.

Les deux premiers albums nous ont donné une idée de l’ambiance générale en Côte d’Ivoire. Il faut d’emblée signaler que la série ne vise jamais le réalisme, ni pour ses personnages, ni pour ses scénarios, ni par son dessin à proprement parler. Il ne faudrait donc pas prendre au pied de la lettre tout ce qu’on observe dans ces albums. Ce sont bien des histoires fictives avec des personnages fictifs. Ceci dit, l’incursion en France dans cet épisode permet de mieux cerner le niveau de réalité visé par les auteurs. La teneur générale de ce qu’on y observe étant crédible, cela vaut donc très probablement aussi pour tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Voilà qui est bon à savoir pour un lecteur qui n’a jamais mis les pieds dans ce pays, ni même sur le continent africain.

Métis tatoué

L’épisode commence avec quatre planches qui nous présentent un étonnant personnage qui, visiblement, suit ses affaires (ordinateurs et téléphones portables à disposition) depuis sa cellule de la M.A.C.A (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) et en sort selon son bon vouloir, pour réaliser une (grosse) opération bancaire dans un établissement où on le connaît déjà. Pour cela, il est véhiculé par deux hommes qui acceptent ensuite de l’accompagner dans une boîte de nuit plutôt qu’à la M.A.C.A. Le souci, c’est que le lendemain, ces deux hommes sont retrouvés assassinés dans une luxueuse propriété. Il s’avère qu’il s’agit de deux agents pénitentiaires de la M.A.C.A. chargés d’escorter le dénommé « Métis tatoué ».

D’Abidjan à Angoulême

Voilà donc un truand d’envergure qui sort de la M.A.C.A. comme il veut, son opération bancaire étant évidemment liée aux affaires pour lesquelles il séjourne en prison ! De plus, à cette occasion, sa surveillance est visiblement relâchée, ce qui entraine le drame à l’origine d’une nouvelle enquête du commissaire Kouamé. L’album s’intéresse donc à l’activité de l’économie parallèle comme on dit pudiquement, ainsi qu’à la corruption. A lire cet album, tout ceci semble plutôt banal à Abidjan. Alors, les ivoiriens n’y voient rien ? Si, mais ils sont fatalistes. Heureusement, la sphère politique s’en inquiète et cherche à calmer le jeu. C’est ainsi que Kouamé est régulièrement sous pression du fait des messages qu’il reçoit directement de son Ministre de tutelle (c’était déjà le cas dans les albums précédents). Le dessin accentue l’absurdité de la situation en faisant à Kouamé des épaules tellement larges qu’elles pointent sous sa veste, un peu comme si on devait le considérer comme un super-héros. Cela est conforté par le dessin qui accentue de façon outrageuse les mouvements, en particulier des véhicules. A vrai dire, cette caractéristique des deux premiers albums n’apparaît plus cette fois, comme si la série s’assagissait et que les auteurs préféraient donner une image plus conforme à ce qui se passe réellement à Abidjan. D’ailleurs, cela s’accorde avec la deuxième partie située en France (Angoulême… son festival BD). Le constat est donc que ce passage en France incite les auteurs à tempérer leurs ardeurs. Mais, ce qu’on y perd notamment en folie graphique, est à mon avis compensé par une meilleurs clarté côté scénario. La résolution des deux premières enquêtes ne se faisait pas sans une certaine confusion. Il n’en est rien ici. Ceci dit, il apparaît évident arrivé en fin d’album que celui-ci ouvre vers une suite.

Les états d’âme de Kouamé

Si l’enquête à propos du personnage du « Métis tatoué » permet au Ministre de rassurer la population, Kouamé n’apprécie pas la façon dont on présente les choses officiellement. C’est d’ailleurs pourquoi il n’hésite pas à partir pour la France pour une autre enquête, beaucoup plus personnelle, puisque c’est sa nièce, Grâce Divine, qui a disparu après avoir répondu à une annonce suspecte pour une offre d’emploi… en France. Cela entraîne donc une rupture dans la narration. De plus, l’ambiance en Côte d’Ivoire fait le charme de la série. Alors, pourquoi prendre un tel risque ?

Balayons devant notre porte

L’album montre que si on peut ironiser sur ce qui se passe en Côte d’Ivoire, on le peut aussi bien sur ce qui se passe en France. D’ailleurs, les liens existent, puisque de nombreux Ivoiriens résident en France. Le lien existe aussi de façon plus indirecte, puisque l’assistant de Marius Kouamé (Noir) est un Blanc. L’humour que les lecteurs de Marguerite Abouet apprécient est donc toujours bien présent ici. Et l’album enchaine les péripéties, nombreuses étant celles qui montrent que tout ne tourne pas rond, en Côte d’Ivoire ainsi qu’en France. La première partie de l’album apparaît donc un peu comme une fausse piste. Il se pourrait cependant que le prochain épisode permette de faire le lien entre l’enquête à Abidjan et celle à Angoulême.

On ne fait pas de feu sous un arbre en fleur – Commisaire Kouamé Tome 3 – Marguerite Abouet (scénario) ; Donatien Mary (dessin) et Drac (couleurs)
Gallimard (Bande dessinée) : sorti le 29 janvier 2025


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3.5