Pour le dessinateur Frédérik Peeters, la maturité s’accompagne d’une réflexion approfondie sur son art, sa relation aux autres et notamment son entourage, mais aussi sur le monde dans lequel il vit.
En tant que dessinateur, Frédérik Peeters a obtenu la reconnaissance ainsi qu’un certain succès, suffisamment pour vivre correctement de son métier. Maintenant attention, je parle du dessinateur Frédérik Peeters, auteur de la BD Oleg qu’il ne faudrait pas confondre avec Oleg, personnage central de cette BD. Ceci dit, il apparaît de manière évidente qu’Oleg doit beaucoup à son dessinateur. Déjà, Oleg est un dessinateur de BD. Ensuite, il lui ressemble physiquement et il apparaît également de manière évidente qu’Oleg lui ressemble moralement (voir les valeurs qui le motivent). Le choix de ce prénom russe donne une indication sur les origines du personnage et apporte surtout la possibilité de jouer sur les lettres qui le constituent. En effet, organisées différemment, elles donnent Lego et même l’ego. Le Lego étant un jeu de construction, on peut imaginer que le dessinateur pense à sa façon de construire une BD, par assemblage et organisation d’éléments dans une planche. Quant à l’ego, il en est question régulièrement ici. Ainsi, Oleg se demande pourquoi il envisage de réaliser une BD sur sa vie alors qu’il s’y était toujours refusé, même à une époque où c’était particulièrement à la mode, sans doute sous l’influence du manga. Il agit sous l’influence d’un événement de sa vie personnelle, puisque sa femme a un ennui de santé qui les marque tous deux, ainsi que leur fille. Ceci dit, il faut quand même signaler qu’il ne faudra pas attendre quelque chose de foncièrement original dans ce qui se passe suite à cet ennui de santé. Ce qui intéresse le dessinateur (Oleg… ou Frédérik Peeters, ils ont tendance à se fondre en une seule entité) est plutôt de rendre un hommage aux personnages qui partagent son existence et de faire sentir combien cet imprévu bouleverse et donne à réfléchir.
De Frédérik Peeters à Oleg
Ce roman graphique permet donc à son dessinateur de faire en quelque sorte le point sur ce qu’il observe du monde et de la vie (le tout organisé sous forme de chapitres, pour un total de 184 pages et un format moyen : 24,0 x 17,2 cm), pour pointer du doigt certains comportements qui l’agacent, établir un portrait de famille bien vivant et surtout évoquer son métier de dessinateur sous un jour particulier. En faisant d’Oleg un dessinateur, cela lui permet d’évoquer le travail de conception d’une œuvre, avec un regard quasi extérieur. D’ailleurs, nous ne saurons jamais quelle part exacte il met de lui dans le personnage, avantage de l’autofiction. À signaler quand même que Frédérik Peeters défend des valeurs très respectables comme la tolérance et le respect des différences. Pour résumer, on le sent très attaché à l’humain de manière générale.
L’aspect graphique
Ici, Frédérik Peeters est à son apogée me semble-t-il. Son trait caractéristique, très assuré et relativement épais (avec des dessins dans un beau noir et blanc), lui permet de mettre en valeur exactement ce qui l’intéresse, ce qui passe par des dessins très réussis, aussi bien pour les personnages que pour les décors et la mise en scène. L’ensemble est parfaitement équilibré, aussi personnel qu’agréable pour l’œil, avec une belle maîtrise aussi bien de l’organisation des planches (vignettes de tailles et formes diverses), que scénaristique (intégration de séquences de pure fiction dans une trame d’autofiction).
Pour la petite histoire
Pour faire écho aux séances répétitives et fastidieuses évoquées par Oleg dans l’album, j’avais envisagé l’achat de cette BD lors d’une séance de dédicace au festival de Colomiers (2022) où Frédérik Peeters venait de faire une petite conférence particulièrement intéressante. En effet, depuis peu il était question d’un logiciel accessible en ligne et capable de réaliser un dessin « à la manière de » simplement à partir d’une base de données des œuvres de l’artiste en question. Autant dire que le résultat pouvait se révéler assez bluffant. Sauf que le dessinateur s’était évidemment posé la question de son avenir en tant qu’artiste capable de produire des œuvres originales, tout en ayant conscience de recycler des idées à sa façon. Effectivement, ce logiciel se montrait capable d’analyser sa méthode. Bien entendu, en personne intelligente pas franchement tenté par une retraite anticipée, Frédérik Peeters avait réussi à contourner la difficulté pour amener le logiciel à proposer quelque chose qui ne collait pas. Ceci dit, quand on sait que désormais la machine est capable de battre le champion du monde en titre aux échecs, on peut imaginer qu’avec un programme amélioré pour dépasser les quelques erreurs du début, la machine finira par se montrer capable de produire de la BD à la chaine et de rentabiliser ce système. Disons-le tout net, si une telle organisation voit le jour, j’espère bien ne jamais tomber dans le panneau. La petite marge de manœuvre que l’humain conserve à son avantage, c’est que la machine a besoin d’une base de données pour fonctionner. La place de l’artiste reste donc fondamentale. Enfin, pour conclure par rapport à mon anecdote, ce jour-là, le planning de Frédérik Peeters était minuté par son éditeur et ma position dans la file d’attente était la toute première après la limite des personnes qui auraient droit à la dédicace souhaitée. Résultat, je n’ai jamais acheté cette BD et je me suis contenté de l’emprunter en médiathèque pour pouvoir en parler ici.
Oleg, Frédérik Peeters
Atrabile éditions : 14 janvier 2021