Second tome d’un triptyque, « Mobilis in Mobile » s’inscrit, comme son prédécesseur « Le Théâtre des ombres », à la croisée de Rudyard Kipling (Kim) et Jules Verne (Vingt Mille Lieues sous les mers). Kimball O’Hara, suspecté d’animosité anti-coloniale, doit se dédouaner de toute responsabilité à la suite d’un attentat ayant ravagé le port de Bombay. Et pour ce faire, il n’a d’autre choix que faire évader le capitaine Némo, détenu dans une prison sibérienne, et lui emprunter le célèbre Nautilus, considéré comme le sous-marin le plus performant jamais conçu. Car pour s’innocenter, « Kim » doit à tout prix récupérer des documents prisonniers des coffres d’une épave coulée au fond des mers.
Déjà tiraillé entre deux identités inconciliables dans « Le Théâtre des ombres », Kimball O’Hara endosse le pseudonyme de Jean Paillole dans « Mobilis in Mobile ». Usurper le titre de capitaine français est pour lui un moyen commode de mettre la main sur un « monstre des mers qui avait hanté les cauchemars de tant de marins », « une merveille d’ingénierie et d’architecture ». On le découvre ainsi au début du récit de ce second tome de Nautilus en compagnie du capitaine Némo, tous deux bientôt flanqués d’un équipage composé d’indépendantistes. Leur objectif ? Se rendre sur les lieux du naufrage du HMS Northampton, pour récupérer des documents secrets permettant d’innocenter « Kim » – et que ce dernier fait passer aux yeux du vieux capitaine pour des instruments au service de la paix, à même d’éviter une escalade militaire entre Britanniques et Russes.
L’immersion dans le Nautilus occupe sans surprise une place de choix dans « Mobilis in Mobile ». Gigantesque, à la pointe de la technologie, doté d’un système d’écholocalisation, d’un sonar permettant de manipuler les baleines et d’une alimentation à l’aide d’une pile au sodium, le submersible est à la fois majestueux, sophistiqué, agile et puissant. Le lecteur découvre en même temps que « Kim » les secrets du mythique vaisseau. Mais un autre point va s’inscrire au cœur de l’intrigue, et pas seulement en pointillé : Némo apparaît belliqueux, désireux de tester les capacités de son sous-marin, voire de faire voler en éclats le monde civilisé. « Kim » et Jaya vont en faire les frais, finissant en otages. Au milieu de ces considérations, et en juxtaposition des enjeux identitaires déjà exprimés lors du premier épisode (« Toute l’expérience acquise ne balaye pas ce qui est inné en moi », avancera O’Hara), c’est un récit d’aventures mené tambour battant qui prend place.
Pour le servir, Guénaël Grabowski met les petits plats dans les grands. Le format de l’album et la taille des vignettes mettent en effet en valeur le somptueux travail graphique du dessinateur français, qui n’hésite pas à recourir aux pleines pages, voire aux doubles pages (p. 25, pp. 48-49). Lecture haletante – et rapide –, « Mobilis in Mobile » fait mouche tant dans sa représentation du Nautilus que dans les tableaux, plus rares, qu’il dresse d’une nature indienne exotique et sauvage. Quant à Némo, « Kim » et leur équipage, ils devront faire face à un saboteur, aux vaisseaux britanniques et aux nombreux et inattendus ersatz russes du Nautilus. De quoi garder le lecteur en haleine avant un dernier tome sur lequel se projette déjà cette promesse, énoncée par le capitaine Némo : « Où nous allons, il n’y a ni autorité ni justice. »
Nautilus : Mobilis in Mobile, Mathieu Mariolle et Guénaël Grabowski
Glénat, octobre 2021, 64 pages