La collection « Ils ont fait l’Histoire » des éditions Glénat se penche sur la figure de Benito Mussolini, qui prit la tête du gouvernement italien en 1922 pour y instaurer une révolution fasciste.
« J’aurais pu contraindre le Parlement et former un gouvernement composé uniquement par des fascistes », avance Benito Mussolini, le nouvel homme fort de l’Italie, comme pour se disculper. L’heure est grave : le fondateur du Parti national fasciste a pris le pouvoir alors même que les chemises noires étaient massées aux portes de Rome. Les uns questionnent dès le départ la stabilité de son régime, les autres ne savent quoi penser : les commerces restent ouverts, la violence se raréfie dans les rues. L’avènement de cet homme, « porté en triomphe comme un nouveau César », ne serait-elle pas, tout compte fait, une bonne chose ?
L’album de Davide Goy, Luca Blengino, Catherine Brice et Andrea Meloni témoigne parfaitement de ces ambivalences. Les Italiens sont partagés entre la construction d’une ligne ferroviaire très attendue et des opposants jetés en prison, entre une capitale redessinée de fond en comble et une dictature politique en gestation. Mussolini, lui-même, constitue un mélange désordonné de bonhomie, de populisme, d’autoritarisme, de certitudes et de doutes, de visions et de caprices. Il prononce l’oraison funèbre de la démocratie italienne après avoir loué son sens de la mesure. Il s’attache à Rome, en laquelle il ne voyait pourtant que corruption et bourgeoisie. Il semble tour à tour accablé et fanatisé, sa maîtresse Margherita s’échinant à juguler ses humeurs – et à appuyer l’art nouveau fasciste.
Mussolini est aussi une invitation à redécouvrir la capitale italienne : Piazza Venezia, Capitole, Colisée, palais de Venise… Tandis qu’ils narrent l’ascension de Benito Mussolini, les auteurs présentent une ville en plein renouvellement, où les pioches s’affairent à moderniser des lieux quasi immémoriaux. Le terrain politique et diplomatique fait lui aussi l’objet d’explorations fines : le rôle de la presse d’opposition, l’assassinat du socialiste Giacomo Matteotti, les associations citoyennes contrôlées par la police, les syndicats muselés, les enjeux économiques (dette, monnaie nationale), le soutien apporté par Churchill ou JP Morgan aux fascistes, les accords noués avec le Vatican pour une reconnaissance mutuelle, les guerres en Libye et en Ethiopie, où la fin justifie les moyens…
On ne saurait évoquer le fascisme sans mentionner l’avènement de l’« homme nouveau ». Mussolini revient amplement sur les préoccupations du nouveau régime. « Il faut inculquer aux jeunes la virilité, le goût de la puissance, de la conquête… Il faut les élever dans notre foi, la foi fasciste. » Quinze ans après la marcia su Roma, les bras se tendent toujours à l’arrivée du « providentiel » Duce. Il est désormais rejoint sur l’estrade par son homologue allemand Adolf Hitler, une visite qui précédera d’ailleurs de peu la promulgation des lois raciales décrétées en 1938 à l’encontre des Juifs et qui se résumeront en trois mots : expropriations, expulsions, exclusions. Le récit se clôture par le pacte d’acier et la Seconde guerre mondiale, loin des promesses esquissées par la nouvelle capitale du cinéma européen, Cinecittà.
Un dossier didactique, en fin d’ouvrage, apporte un éclairage précieux sur le « guide » fasciste, un homme complexe, aux multiples visages, dont les doctrines ont évolué au fil du temps, et notamment à l’endroit de la monarchie, du suffrage universel ou du capitalisme. L’historienne Catherine Brice y rappelle que le régime mussolinien a continuellement navigué entre la dictature et la révolution, sans la terreur de masse observée dans l’Allemagne nazie ou la Russie soviétique.
Mussolini, Davide Goy, Luca Blengino, Catherine Brice et Andrea Meloni
Glénat, novembre 2022, 56 pages