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« L’Ogre » : Jean Dufaux revisite la guerre de Cent Ans

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Entre thriller médiéval et fresque historique, le nouveau diptyque de Jean Dufaux et Juan Luis Landa nous entraîne dans les ruines du royaume de France, là où la faim d’un monstre croise la ferveur d’une pucelle. Une œuvre crépusculaire où la noirceur d’un ogre s’oppose à la lumière de Jeanne d’Arc.

La guerre de Cent Ans n’en finit pas de déchirer le pays de France. Nous sommes en 1427 : famine, brigandages et écorcheurs achèvent de ravager des terres déjà brisées par les armées anglaises. Le dauphin Charles, futur Charles VII, se réfugie à Chinon, impuissant face aux ambitions du roi d’Angleterre Henri VI. C’est dans ce décor de chaos et de désespoir qu’apparaît une créature effroyable, un tueur d’enfants que l’on surnomme « l’Ogre ». Un nom simple, archaïque, presque folklorique – mais derrière lui, une réalité d’autant plus glaçante qu’elle s’abat sur les plus innocents.

Jean Dufaux, scénariste chevronné, choisit d’attaquer de front cette époque trouble par la face la plus brutale : la guerre comme voracité, la guerre comme monstre. À travers ce personnage fictif, assassin borgne et affamé, il tisse une allégorie évidente : l’Ogre, c’est la guerre elle-même, celle qui avale villages et familles, qui broie les faibles et ravale toute humanité dans une boue sanglante. Mais il ne se contente cependant pas de ce symbole. Il lui oppose une figure, celle de Jeanne la Pucelle, qui s’apprête à entrer dans l’Histoire et à redonner souffle à un royaume moribond. La rencontre annoncée entre l’ombre et la lumière, entre l’homme défiguré par la faim et la jeune femme transfigurée par la foi, donne à ce récit une tension d’emblée captivante.

Le lecteur découvre, en même temps que le capitaine Guillaume de Blamont et ses hommes, les traces laissées par ce prédateur. Les villages sont à feu et à sang, les cadavres mutilés, les fillettes arrachées à leurs familles. Dans ce monde où la cruauté est monnaie courante, l’Ogre se distingue par une sauvagerie encore plus abyssale. Dufaux emprunte ici à Victor Hugo une veine toute romantique : celle de la monstruosité qui dissimule une âme, du grotesque qui côtoie la grâce. Comme Quasimodo dans Notre-Dame de Paris ou Gwynplaine dans L’Homme qui rit, l’Ogre n’est pas seulement une bête. Derrière ses crimes, il porte une faille intime, un passé brutalisé où il devait disputer aux chiens sa nourriture, et peut-être la possibilité d’une rédemption lorsqu’il croise la route de Jeanne.

Pour incarner cet univers sombre et en proie à la violence armée, il fallait un trait capable de restituer à la fois l’horreur et la majesté. Juan Luis Landa déploie ici une maîtrise saisissante, avec un dessin réaliste, fluide et précis, qui donne vie aux batailles, aux villages incendiés, aux élans humains horrifiques. Le regard borgne de l’Ogre, les visages épuisés des soldats, la noblesse fragile de Jeanne : tout est là.

La couverture, panoramique elle-même, se présente comme une fresque : cavaliers, bannières, lances croisées, un tumulte visuel qui annonce d’emblée le souffle épique de l’album. En fin de volume, un dossier documenté replace les personnages historiques dans leur contexte : un précieux complément qui enrichit la lecture sans en briser la tension romanesque.

Ce premier tome installe le décor : l’ombre d’Azincourt, la fragilité du dauphin Charles, les divisions françaises, l’apparition de Jeanne, et la traque de ce tueur d’enfants qui met à nu les failles d’un royaume. Tout y est : suspense, complots, chevauchées, massacres et espoirs. L’Ogre se déploie comme un conte noir, une parabole sur la monstruosité humaine et la possibilité d’une rédemption. 

L’Ogre, Jean Dufaux et Juan Luis Landa
Éditions Glénat, 24 septembre 2025, 112 pages

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