Journalistes d’investigation connus pour avoir égratigné l’image des trois derniers présidents de la République, Gérard Davet et Fabrice Lhomme racontent leurs enquêtes à travers une bande dessinée bien nommée L’Obsession du pouvoir, et mise en images par Pierre Van Hove.
Ils avaient l’habitude d’alerter l’opinion publique à travers leurs articles dans Le Monde ou Mediapart, ou de s’épancher à l’occasion d’essais critiques sur les locataires de l’Élysée. Cette fois, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme se tournent vers le neuvième art pour narrer leurs enquêtes journalistiques, véritable ligne cardinale d’un récit qui éclaire d’une lumière profuse les obsessions des présidents de la République.
Clearstream, Karachi, les frégates de Taïwan, Bettencourt, Julie Gayet, affaire Sarkozy-Kadhafi, Crédit Lyonnais : plurielles, politico-financières comme privées, les affaires mentionnées dans cet album ont toutes en commun d’avoir frappé de plein fouet la présidence française et d’avoir vu les deux auteurs s’y intéresser de près. En revenant sur leur travail d’investigation, ces derniers font plus que lever le voile sur un métier exigeant et complexe ; ils radiographient trois décennies de vie politique placées sous le sceau des « affaires ».
Dès la fin des années 1980, alors qu’il occupe la mairie de Neuilly-sur-Seine, Nicolas Sarkozy se révèle aux auteurs. « L’homme, visiblement brillant, exsude l’arrogance. » C’est une prise d’otages dans une école maternelle qui le propulse véritablement sur le devant de la scène en 1993, avant une traversée du désert occasionnée par son soutien à Edouard Balladur aux élections présidentielles de 1995 (ingénieusement cristallisée par trois vignettes), puis une hyper-activité au ministère de l’Intérieur et, dans une moindre mesure, de l’Économie, lors de la présidence de Jacques Chirac. Les auteurs reviennent allégrement sur sa rivalité avec De Villepin, mais aussi sur les tissus de mensonges dans lesquels on a parfois voulu l’enfermer.
Si L’Obsession du pouvoir dévoile en première intention ce qui sert d’incubateur aux présidents de la République (attrait du pouvoir, engagement public, mégalomanie, etc.), l’album n’oublie pas de sursignifier la dangerosité d’un microcosme vertigineux, et les difficultés inhérentes au travail d’investigation dès lors que les journalistes font l’objet de tentatives de manipulation ou d’intimidation, le tout sur fond de course au scoop et de rétractations de leurs sources plus ou moins forcées. Ces points ont valu à Gérard Davet et Fabrice Lhomme pas mal de sueurs froides, et notamment lorsque la comptable de Liliane Bettencourt (l’héritière de L’Oréal a été extorquée de centaines de millions d’euros) est revenue sur les confessions faites au dernier cité.
Efficacement mis en vignettes par Pierre Van Hove, L’Obsession du pouvoir nous replonge dans ces années où le juge Van Ruymbeke faisait régulièrement la une des journaux, où la Société générale et Jérôme Kerviel étaient au cœur d’un scandale financier, où les rivalités politiques poussaient aux dénonciations – et à la calomnie. La chair humaine ne manque cependant pas : à travers l’indéfectible amitié qui lie Gérard Davet et Fabrice Lhomme, mais aussi à travers les failles psychologiques des personnalités politiques évoquées. Mais le plus important se situe peut-être ailleurs, dans les coulisses du journalisme d’investigation (et des essais politiques attenants), où pugnacité, rigueur et prudence demeurent les maîtres-mots.
Il n’est évidemment pas question pour les auteurs de se donner le beau rôle (ils s’en défendent d’ailleurs). Leurs propres doutes et échecs ont eux aussi toute leur place dans l’album. Il s’agit plutôt de cartographier une profession pas toujours bien comprise. Ainsi, ils rappellent que « fréquenter les lieux de pouvoir ne veut pas dire pactiser » et que « le journalisme d’enquête est une arme fatale », « à utiliser de manière proportionnée ». Ce n’est pas Nicolas Sarkozy, s’estimant persécuté par les journalistes, qui dira le contraire…
L’Obsession du pouvoir, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et Pierre Van Hove
Delcourt, mars 2022, 140 pages