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« L’Instant d’après » : là où frappe l’irrationnel…

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Maltaite au dessin et Zidrou au scénario. Une histoire aux frontières du réel. Des traits d’humour par rangées de douze. Des vignettes somptueuses, agrémentées de couleurs flattant l’œil. Des antihéros attachants. L’Instant d’après a tout pour plaire.

À Charleston, en Caroline du Sud, une strip-teaseuse s’interrompt en pleine représentation après avoir eu la prémonition qu’il était arrivé quelque chose à sa sœur Aline. Cette dernière, une harpiste renommée, vit en France, où elle vient d’être déclarée disparue. Un fait divers qui va mener le lecteur à deux embouchures : d’une part, Philippe, le compagnon d’Aline, est suspecté de l’avoir assassinée ; d’autre part, dans une prison quelconque, un détenu surnommé Houdini collecte des coupures de journaux portant sur des disparitions étranges.

Extrait de « L’Instant d’après », visible sur le site de l’éditeur.

Ce M. Houdain, de son vrai nom, fut lui-même suspecté d’avoir tué sa femme après son évanouissement soudain. Cela lui valut une condamnation à mort, commuée quelque temps plus tard. Depuis, il tue le temps en cherchant dans les canards qui lui tombent sous la main des faits divers similaires, qu’il classe en trois catégories : « D » pour les cas douteux, « T » pour les cas troublants avec témoins, « A » pour les cas avérés, c’est-à-dire irréfutables. En treize années, il a répertorié plus de 900 affaires, mais aucune ne fait état d’une disparition indéniablement surnaturelle.

Alors que Blandine, la sœur d’Aline, recueille plusieurs témoignages édifiants, le mystère ne cesse de s’épaissir. La trame est bien en place : les accusations pesant sur Philippe et l’enquête menée par sa belle-sœur constituent le deux arcs du récit. Mais L’Instant d’après dispose d’autres ressources exploitées avec maestria : des tirades mordantes, des dessins raffinés, quelques parenthèses finement élaborées… La qualité d’écriture mérite sans conteste que l’on s’y attarde. Tandis qu’il aperçoit un avion publicitaire dans le ciel, un jeune homme se voit rappelé à l’ordre par sa tante, qui attend impatiemment qu’il lui passe de l’huile solaire sur le corps. Elle abaisse son maillot, lui laissant entrevoir ses fesses tout en assénant : « Je vais te montrer, moi, ce que c’est une pub. Crois-moi, Hadrien, depuis la nuit des temps, on n’a rien inventé de mieux pour inciter à la consommation ! » Plus loin, alors que « Houdini » raconte à Blandine le moment où sa femme s’est volatilisée, il la compare dans son bain bouillant à « un homard en moins joli », avant d’insister sur son odeur tenace et de déclarer que sa disparition n’est autre qu’un « mystère de la chambre jaune version salle de bains vert pistache ».

L’humour apparaît de bout en bout dans cet album. Et les répliques fusantes ne manquent jamais de faire mouche. Entre les lignes se glissent une relation probablement adultère (entre Blandine et Philippe), une représentation de la promiscuité carcérale, un monde où l’inexplicable n’a plus voix au chapitre, un rêve américain en déliquescence, des parents à l’amour sélectif, une système judiciaire réduit à l’état d’impuissance ou encore le deuil impossible d’un père envers sa fille. Autant d’éléments qui contribuent à la qualité de cette bande dessinée hautement recommandable.

L’Instant d’après, Maltaite et Zidrou
Dupuis, mars 2020, 56 pages

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