La collection « Batman Mythology » s’enrichit d’un nouveau titre consacré aux morts du Chevalier noir. De David Vern Reed à Ed Brubaker en passant par Tom King, nombreux sont les scénaristes à avoir imaginé la fin, présumée ou réelle, du justicier le plus célèbre de Gotham City.
« Où étiez-vous le soir de la mort de Batman ? » n’est pas seulement le titre du récit imaginé par David Vern Reed et John Calnan en 1977, c’est aussi la question que le procureur Double-Face pose à tous ceux qui prétendent avoir porté le coup fatal au Chevalier noir. Tandis que la nouvelle de la mort de Batman se répand de seuil en seuil, nombreux en effet sont ceux qui revendiquent la paternité du crime. D’une certaine façon, ces impostures signalent deux choses : le défi que représente l’assassinat du justicier de Gotham City, mais aussi le peu de considération de la pègre locale pour la vérité. Ces « sinistres pantalonnades », pour reprendre les termes exacts de Luthor, verront tant Catwoman, Le Sphinx ou le Joker se ridiculiser en place publique…
« Je ne laisserai pas d’autres morts survenir si je peux les empêcher, même au prix de mon identité secrète. » Dans le très bon « Les Nombreuses Morts de Batman », publié en 1989, John Byrne et Jim Aparo imaginent l’assassinat de tous ceux qui ont contribué à la formation du Chevalier noir. Ce dernier mène une enquête au long cours, passionnante, afin d’identifier celui ou celle qui sème les cadavres sur son passage. « Un parfait innocent » (Brian Bolland, 1996) s’inscrit dans un autre registre : un jeune homme fantasme sur le meurtre de Batman et s’imagine commettre le crime parfait. Il rêve d’un acte retentissant, avant de reprendre le cours normal de sa vie… « Les Morts de Batman » présente ainsi une dimension hautement polysémique : chacun verse ce qu’il veut derrière la disparition, concrète ou illusoire, de celui qui protège Gotham City au mépris du danger.
Dans « L’Étrange trépas de Batman » (1966), de Gardner Fox et Carmine Infantino, on apprend au sujet de Batman que le moindre « faux pas lui vaut un concert de reproches », tandis que dans « Rêves de pingouin » (2001), d’Ed Brubaker et Scott McDaniel, on assiste aux méditations du Pingouin : « On a beau calculer toutes les possibilités, prévoir toutes les éventualités, Batman reste imprévisible jusqu’au bout. C’est dans sa nature. Il est un modèle de détermination. » Ces deux courts récits, plus sophistiqués qu’il n’y paraît, font place nette, dans des registres différents, à l’imagination. « À la vie, à la mort » (2018), de Tom King, Lee Weeks et Michael Lark, propose un exploration psychologique en miroir, entre Catwoman et Batman, ou plutôt Selina et Bruce. Plus moderne dans le dessin, le récit unit les deux personnages en raison de leurs mimétismes biographiques. Le Chevalier noir peine à accepter, en vieillissant, de ne plus être aussi performant qu’avant. Surtout, aux yeux de sa compagne, il demeure « le pauvre petit garçon riche dans le manoir sur la colline », « l’enfant qui souffre d’être seul ».
Le recueil est aussi l’occasion d’évoquer des sujets connexes, comme à l’occasion de « Seules les légendes vivent à jamais ». Datant de 1979, cette histoire signée Paul Levitz et Joe Staton fait montre d’un sexisme décomplexé (qu’il entend précisément dénoncer). Flash note les limites de la super-force de Power Girl. Avant que Wildcat n’ajoute : « Ah les bonnes femmes », « mieux vaut les garder à leur place attitrée, derrière les fourneaux ». Mais cette expression d’une misogynie surannée est heureusement battue en brèche par la place que prend dans le récit Huntress, alias Helena Wayne… Ce Batman Mythology saisit ainsi l’univers du Chevalier noir à travers une lumière de morgue, et souvent par le truchement du regard de ses ennemis. Il n’en demeure pas moins dense et haletant.
Batman Mythology : Les Morts de Batman, collectif
Urban Comics, février 2022, 304 pages