Avec Les Météores, Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi nous offrent une fresque intimiste sur fond d’apocalypse imminente. À travers une narration chorale, les auteurs explorent les vies ordinaires face à une situation extraordinaire : une météorite gigantesque se dirige vers la Terre. L’album s’attache aux failles humaines, aux relations sociales et aux interactions du quotidien, dans un décor enneigé où le silence et la menace de fin du monde résonnent en arrière-plan.
Le point de départ de l’histoire est une météorite dont l’impact est annoncé comme dévastateur. Pourtant, le récit ne s’attarde que marginalement sur l’aspect scientifique ou sensationnaliste de cet événement cosmique. La météorite est là, en toile de fond, comme un rappel constant de l’impermanence des choses, mais les protagonistes ne s’engagent aucunement dans une quête de survie épique. Au contraire, JC Deveney choisit de s’intéresser à des existences banales qui continuent, malgré tout. Ce contraste entre la grandeur de la menace et la trivialité des vies humaines crée une tension narrative subtile mais omniprésente.
L’absence relative de réaction met en lumière une forme d’inertie sociale et individuelle. Chaque personnage affronte l’annonce de la fin du monde avec ses propres préoccupations, souvent plus immédiates et personnelles. Gary, Floyd, Casey, Charlie et Hollie vivent dans l’ombre de la catastrophe, mais ne se transforment pas en figures de résistance ou d’héroïsme. Ils continuent de vaquer à leurs occupations, et c’est précisément cette approche réaliste qui confère à Les Météores une profondeur touchante. La météorite devient presque un prétexte pour sonder l’âme humaine, et non une fin en soi.
Au cœur du récit se trouve Floyd, un géant doux mais intellectuellement diminué, qui symbolise la vulnérabilité dans un monde impitoyable. Victime de ses « absences » et de sa maladie, ce colosse va notamment subir un licenciement sans ménagement ni égard, acte qui reflète la brutalité d’une société où le capitalisme prime l’humain. Autour de Floyd gravitent d’autres personnages aux vies fragiles et complexes.
Il y a Elijah, adolescent, qui incarne les troubles de la jeunesse moderne : dépendance à la technologie, incapacité à communiquer avec sa mère Hollie, tentatives souvent maladroites, voire dangereuses, de s’affirmer… Hollie, de son côté, est une infirmière célibataire, cherchant à maintenir sa famille à flot et devant composer avec un métier où elle doit régulièrement faire face à la maladie et à la mort. Gary, ancien alcoolique, fait office de tuteur pour Floyd et apporte une touche d’humanité au diagnostic clinique qui lui est opposé.
À travers ces vies ordinaires, JC Deveney échafaude un panorama social fort. Il porte aussi quelques coups au capitalisme dénué de scrupules : le licenciement de Floyd, la fermeture du magasin dans le plus grand secret et le discours hypocrite d’une grande enseigne qui se présente comme une « famille » tout en ignorant les réalités auxquelles font face ses employés sont autant de signes d’un système qui valorise le profit au détriment de l’humain. Cette critique ne s’affiche pas avec fracas, mais se répand à travers les détails du quotidien.
Le désir sexuel s’exprime quant à lui de différentes façons, et notamment à travers un homme bientôt père mais obsédé par une inconnue, employée dans un magasin. Il y a un peu de Lester Burnham (American Beauty) dans ce personnage, manifestement en quête de sens et enferré dans un quotidien qui ne l’épanouit pas.
Les illustrations de Tommy Redolfi complètent parfaitement le scénario de Deveney. La neige, omniprésente, donne au récit une ambiance sourde et feutrée, comme si le monde entier était suspendu dans une sorte de limbes glacés, en attente de l’inévitable. L’absence occasionnelle de dialogues dans certaines planches laisse la place à une contemplation visuelle, où le lecteur se perd dans les gestes silencieux des personnages, et l’inexorable progression de la météorite. Le format à l’italienne accentue cette sensation d’inertie.
Les Météores est un récit puissant par sa simplicité et sa sincérité. En nous plongeant dans un quotidien perturbé par l’annonce d’une catastrophe imminente, Deveney et Redolfi nous invitent à nous pencher sur la manière dont nous vivons nos vies, absorbés par des préoccupations terre à terre et la nécessité de se construire et trouver sa place dans un monde conflictuel et complexe (rentabilité, pression, incommunicabilité, racisme, angoisses, maladie, etc.). Le talent des auteurs réside probablement dans leur capacité à rendre l’ordinaire passionnant, à travers des personnages profondément humains, fragiles et imparfaits.
Les Météores, JC Deveney et Tommy Redolfi
Delcourt, octobre 2024, 304 pages