Les éditions Delcourt accueillent le dixième album de la collection « Les Futurs de Liu Cixin », intitulé L’ère des Anges. Sylvain Runberg et Ma Yi y fondent de nombreux enjeux, allant des guerres civiles à l’exploitation des métaux rares en passant par le sous-développement du continent africain et la science sans conscience.
« Je n’ai toujours eu qu’un seul but : sauver mon peuple d’une famine imposée par la communauté internationale. » Le Docteur Ismaël Ita est un homme entier, dévoué, prêt à tous les sacrifices pour sortir son pays de l’ornière dans laquelle il s’est engoncé. En proie à une guerre civile liée à l’exploitation de métaux rares, la Xambie ajoute le malheur à la faim, la violence au désespoir. Très concerné, le chercheur décide de quitter à la hâte Biofuture, l’entreprise de la Silicon Valley qui a financé ses recherches, lesquelles lui ont valu un Prix Nobel. Il revend ses parts dans la société et s’emploie à réinvestir le capital récupéré pour aider son pays. Déjà affleurent plusieurs thématiques qui formeront le cœur de L’ère des Anges : le sous-développement africain, l’extraction minière et ses conséquences, la science sans conscience…
Pour bien le comprendre, il faut se plonger dans la seconde partie de l’album de Sylvain Runberg et Ma Yi. Le Docteur Ita, toujours sous le coup de traumatismes remontant à l’enfance, a perdu sa sœur de façon tragique, alors qu’elle cherchait à se nourrir, désespérément, en ingérant du poison. Depuis, il n’a eu de cesse de s’ingénier à combattre la faim par tous les moyens. En sa qualité de scientifique, c’est le solutionnisme technologique – et génétique en l’occurence – qui a fait l’objet de toutes ses attentions. On le voit ainsi présenté à un comité bioéthique de l’ONU un adolescent ayant subi des manipulations génétiques et capable de se nourrir exclusivement d’herbe. Mais ce que le Docteur Ita assimile à un espoir suscite la défiance de ses interlocuteurs. On touche là à un eugénisme déjà aperçu, sous d’autres formes, dans un film tel que Bienvenue à Gattaca ou dans un roman comme L’île du Docteur Moreau.
L’ère des Anges va alors mettre en scène l’affrontement entre les dominants (la communauté internationale) et les dominés (les Xambiens, qui s’affranchissent des règles de bioéthique pour survivre). Les antagonismes atteignent leur point culminant : les représentants de l’ONU n’acceptent aucune des explications du Docteur Ita, dont les motivations paraissent nobles, et ce dernier, en retour, peine à mesurer les enjeux moraux et civilisationnels qui tapissent ses activités scientifiques. Non seulement l’incommunicabilité est à son comble, mais en plus elle va déboucher sur un conflit armé riche en surprises. Ex-enfant démuni ayant trouvé dans les études de quoi changer son destin – et celui de son pays –, Ismaël Ita va faire preuve de détermination et d’abnégation autant que d’aveuglement.
Il est difficile de nier que l’intérêt principal de L’ère des Anges est indexé à ce personnage ambivalent et complexe, conditionné par ses traumatismes passés. Soigneusement dessiné et mis en planches, l’album de Sylvain Runberg et Ma Yi hybride des phénomènes actuels (sous-développement, conflits civils, capitalisme extractiviste…) avec les enjeux de demain, liés aux potentialités techno-génétiques. Si le fil conducteur du récit est relativement attendu, il se voit bonifié par des sous-propos passionnants, auxquels l’humanité pourrait un jour se heurter.
Les Futurs de Liu Cixin : L’ère des Anges, Sylvain Runberg et Ma Yi
Delcourt, mars 2023, 82 pages