Le Voyageur, de Théa Rojzman et Joël Alessandra, voit le jour aux éditions Daniel Maghen. On y suit les pérégrinations, quotidiennes et intérieures, d’un gardien quinquagénaire du musée du Louvre, en pleine quête existentielle.
Dans le roman graphique Le Voyageur, nous découvrons Patrick, un gardien du musée du Louvre, usé par le temps et la monotonie de son existence. L’incessant ballet des visiteurs et leurs photographies foisonnantes exaspèrent cet homme de 50 ans, solitaire et infantilisé, qui vit encore chez sa mère. Le tableau de Léonard de Vinci La Joconde est devenu un symbole de cette lassitude et de ce désenchantement, tandis que les prétendues « affaires de grandes personnes », plaidées par la matriarche pour couper court à toute discussion, illustrent bien la manière dont Patrick est diminué dans son propre foyer.
Un jour, un événement surréaliste bouleverse la vie de Patrick : il bascule littéralement dans le tableau de La Joconde. Il s’ensuit une incursion dans la Toscane du XVIe siècle, sublimement représentée par les illustrations de Joël Alessandra. Il va rencontrer Léonard de Vinci, mais aussi un jeune garçon du nom de Léonard, qui semble être une réincarnation de lui-même. Cette expérience consistant à pénétrer dans un univers pictural riche et mystérieux n’est cependant pas l’apanage de Patrick, puisqu’un bouquiniste semble partager un vécu semblable… Cette initiation à un nouveau monde, mêlée à des révélations sur son père, dont il ne savait rien, encouragent Patrick à reprendre sa vie en main et à s’émanciper en emménageant seul. Cette décision marque le début d’une quête existentielle où la sensibilité du personnage est mise à nu.
Le Voyageur se distingue par sa générosité graphique, notamment dans la représentation de Florence. Les vignettes, les doubles pages, les quelques dessins en noir et blanc fourmillent de détails et de poésie. L’œuvre explore avec beaucoup de justesse la vie intérieure de Patrick, à l’image de la série Olive, parue aux éditions Dupuis. Les deux ont en effet en commun d’offrir un voyage introspectif au cœur de l’esprit et du cœur de leur personnage principal. Plus généralement, la poésie se fait omniprésente dans l’album ; elle transparaît notamment à travers l’évocation du sfumato, technique artistique qui floute les contours des sujets et des personnages, ainsi que dans la quête de sens de la vie. Une prise de conscience s’opère chez Patrick lorsqu’il se rapproche de sa collègue Geneviève et qu’il découvre avec elle l’Italie en même temps qu’il s’éveille à l’amour.
Les thématiques familiales, finement abordées, apportent une profondeur supplémentaire à une double odyssée, personnelle et picturale. Au bout du compte, Le Voyageur apparaît comme une œuvre qui s’expérimente davantage qu’elle ne se raconte. Les auteurs se portent à la bonne hauteur pour saisir le tréfonds de leur personnage et faire naître chez lui une soif de renouveau. Tardive mais belle et optimiste.
Le Voyageur, Théa Rojzman et Joël Alessandra
Daniel Maghen, mars 2023, 150 pages