Les éditions Delcourt publient Le Mirage de la croissance verte, d’Anthony Auffret. Il y est question de la compatibilité, fantasmée ou non, entre la préservation de l’environnement et la croissance économique.
Un monde fini, une croissance infinie, la perspective d’une stagnation séculaire. Le Mirage de la croissance verte met en vignettes ce que bon nombre d’économistes et de chercheurs ont problématisé, de Donella et Dennis Meadows à Kenneth Boulding en passant par Daniel Cohen. Scénariste et dessinateur, Anthony Auffret entreprend un patient travail de vulgarisation. Celui-ci commence par la croissance verte qu’il dépeint en « mirage » dans le titre de son album : en s’appuyant sur l’innovation technologique, la croissance verte est censée réconcilier le développement économique et la préservation de notre environnement. Un alliage antinomique qu’il questionne avec légèreté, et beaucoup d’à-propos.
L’auteur commence par circonscrire le débat. Le PIB est un outil célébré de toutes parts, mais il demeure obstinément sourd aux inégalités sociales, au bien-être des populations ou encore à l’espérance de vie. Pis, il fait fi du bénévolat, de l’éducation des enfants ou encore de la nature, privés de valeur dès lors qu’ils sortent d’une logique marchande et comptable. Anthony Auffret énonce ensuite cette réalité douloureuse : notre croissance est dépendante à une énergie dont environ 80 % demeure d’origine carbonée. Découpler la croissance du PIB des émissions de CO2 n’a dès lors rien d’une sinécure. Recyclage, énergies alternatives et bonnes volontés ne suffiront probablement pas à limiter les catastrophes naturelles et à empêcher les scénarios pessimistes du GIEC.
Ratissant large, Le Mirage de la croissance verte évoque le cas de Nauru, rendue riche par le phosphate avant de décliner irrémédiablement, les ressources non conventionnelles, plus difficiles d’accès et coûteuses en énergie comme en argent, l’intermittence des ENR et leur pollution en amont, l’hypothèse lointaine de la fusion nucléaire, l’externalisation des activités polluantes par des pays comme la France ou encore le recours à l’hydrogène, serpent de mer énergétique dont on peut questionner les origines (énergies fossiles) ou les écueils (difficile à stocker, très inflammable). L’album épingle la grande accélération du siècle passé et déplore que l’énergie économisée çà et là soit réinvestie, le plus souvent, à la faveur d’un effet rebond logique mais mortifère.
Partant, faudrait-il changer nos habitudes ? Augmenter la durée de vie des objets quitte à rompre avec l’innovation technique ou les modes ? Anthony Auffret n’a aucune solution clé en main à sortir d’un chapeau magique, mais il a le mérite de baliser la discussion : faire reposer le salut de l’humanité sur une hypothétique croissante verte reviendrait, dans une large mesure, à élargir les œillères qui déjà, aujourd’hui, nous empêchent de scruter les à-côtés de l’économie de marché.
Le Mirage de la croissance verte, Anthony Auffret
Delcourt, mai 2022, 152 pages