Dans Le Garde du corps de Massoud, le scénariste Jean-Pierre Pécau et le dessinateur Renato Arlem initient la série « Histoire & Destins » en se penchant sur Nikolaï Bystrov, ancien soldat soviétique devenu le protecteur d’un chef afghan ennemi.
Au départ de cette biographie dessinée de Nikolaï Bystrov, il y a des liens géopolitiques anciens et complexes. Comme le rappelle l’ex-diplomate Lasha Otkhmezuri dans un dossier instructif glissé en fin d’album, les Soviétiques et les Afghans ont connu des relations diplomatiques erratiques, caractérisées notamment par l’assassinat du président Nour Mohammad Taraki commandité par son concurrent communiste Hafizullah Amin, beaucoup moins favorable à Moscou. S’ensuit l’invasion soviétique en Afghanistan, aussi motivée par l’animosité envers l’Iran de Khomeiny, suspectée de fomenter des rébellions locales comme celle de la ville d’Hérat.
L’homme que l’on découvre au début du récit est profondément meurtri par la mort du commandant Massoud, qu’il a l’impression d’avoir abandonné à son sort. Pour comprendre les raisons de ce désarroi, Jean-Pierre Pécau et Renato Arlem effectuent un bond temporel en arrière, jusqu’à son arrivée en Afghanistan. Excellent tireur, Nikolaï Bystrov est recruté pour protéger les intérêts des Soviétiques dans un pays d’Asie centrale régi par les rapports claniques. L’essentiel de l’intérêt de cet album relève précisément du portrait qui est fait de l’Afghanistan des années 1980 : les montagnes y grouillent de combattants, le haschisch s’y échange contre des armes, chaque maison peut cacher un repère de moudjahidines, toute expédition peut se muer en piège mortel. C’est dans ce contexte que Nikolaï Bystrov va se trouver lié au commandant Massoud : ce dernier lui rend sa liberté mais, ne pouvant retourner en URSS sans se voir accusé de désertion, le soldat soviétique préfère se mettre à son service…
Les dessins de Renato Arlem, réussis, détaillés et expressifs, nous immergent dans un pays exotique aux airs de purgatoire. Là-bas, Bystrov avance sur le fil du rasoir, est rebaptisé Islamouddine et rejoint les troupes du commandant Massoud, composées d’à peine six gardes du corps mais dotées de missiles Stinger… Au-delà de l’impossibilité de rentrer au pays, le Soviétique se sent redevable envers Massoud, au sein duquel il perçoit des qualités éprouvées de leader. Si l’on comprend sans peine ce qui conduit au rapprochement entre les deux hommes, leur relation ne fait toutefois l’objet que de descriptions sommaires, ce qui tend à restreindre la portée du récit. Plus intéressante est en revanche sa dimension identitaire. Bystrov se sent coincé « entre deux mondes, errant dans les limbes comme un fantôme ». Il se distingue par une dualité contenue en germe dans ces deux épisodes : sa conversion à l’islam et son union avec une Afghane… communiste !
Si les scènes d’action fonctionnent assez bien, renvoyant volontiers à un Afghanistan coupe-gorge, force est de constater que l’intérêt didactique de l’album demeure limité. En 60 pages nanties de dialogues relativement chiches, il était en effet difficile de caractériser comme il se doit les différents personnages, de créer un véritable lien entre Bystrov et Massoud ou de radiographier les oppositions claniques et géopolitiques qui avaient alors cours en Afghanistan. Si on appréciera la restitution graphique du piège afghan à travers le point de vue des Soviétiques, les dissensions entre Moscou et Kaboul se verront quant à elles surtout explicitées dans le dossier figurant en appendice de l’album, Le Garde du corps de Massoud n’apportant à cet égard que des éléments parcellaires. C’est d’autant plus regrettable qu’il y avait là matière à des développements géopolitiques, dramatiques, psychologiques ou relationnels d’une tout autre ampleur.
Aperçu : Le Garde du corps de Massoud (Delcourt)
Le Garde du corps de Massoud, Jean-Pierre Pécau et Renato Arlem
Delcourt, juin 2021, 60 pages