La collection « Les Ondes Marcinelle » des éditions Dupuis accueille un récit initiatique en noir et blanc, sombre et puissant, intitulé L’Ami et signé par Lola Halifa-Legrand et Yann Le Bec.
Tomi est un adolescent tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Issu d’une famille monoparentale modeste, il partage sa vie avec une mère un peu trop protectrice à son goût. Comme la plupart de ses pairs, il s’éveille à la sexualité en naviguant sur des sites pornographiques, tout en fantasmant sur les filles de son lycée. Lola Halifa-Legrand et Yann Le Bec posent sur lui un regard d’entomologiste, fasciné et dénué de jugement. L’Ami donne d’ailleurs à voir une existence sur laquelle le jeune protagoniste n’a pratiquement aucune prise.
Bientôt flanqué de Feliks, plus extraverti et téméraire que lui, Tomi va se trouver impliqué dans toute une série d’événements qu’il n’a ni préparés ni même imaginés. Le récit prend alors un tour initiatique : Tomi radicalise ses positions vis-à-vis de sa mère, multiplie les expériences interdites (et parfois irréversibles), s’éveille avec maladresse au flirt amoureux… On retrouve le noir profond et le trait caractéristique de Yann Le Bec dans L’Ami. Le titre de ce roman graphique est d’ailleurs symptomatique en ce sens qu’il suppose un conditionnement du personnage principal à l’autre, un Feliks qui en révèle les fêlures et le tempérament grégaire.
Chronique sur l’adolescence, ses pérégrinations et ses transitions douloureuses, L’Ami traduit une réalité générationnelle de manière brute, un peu à l’image de ce qu’a réalisé il y a quelques mois Camille Poulie avec Bunker, dans la même collection. Le scooter, le rap, la montagne de déchets y constituent des éléments incontournables, mêlés à des motifs plus classiques, tels que la barque (Mud, La Nuit du chasseur…) ou la cabane perchée sur un arbre (Les Simpson, Tom Sawyer…). Naturellement, l’école et ses groupes sociaux, de même que la parentalité à l’ère de Tinder et de l’incommunicabilité, complètent l’horizon narratif de ce puissant one-shot.
D’une certaine gravité, L’Ami verbalise avec talent les impulsions adolescentes et cette volonté mi-consciente de braver les interdits. Tomi n’est rien d’autre que l’émanation d’une jeunesse en rupture consommée (mais relative) avec ses parents, peinant à trouver sa place, se réalisant en grande partie à travers les autres et leur regard. Il est aussi question dans cet album d’ambiguïté sexuelle, de violence et de projections mentales. Ces dernières transparaissent de différentes façons, à travers le dessin, les paroles irrévérencieuses d’un morceau de rap, les outrances de vidéos pornographiques… Autant d’agréments qui permettent aux auteurs de traduire un certain état d’esprit et les turbulences de l’adolescence.
L’Ami, Lola Halifa-Legrand et Yann Le Bec
Dupuis, février 2023, 256 pages