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« La Vie de ma mort » : le quotidien d’un zombi

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le scénariste et dessinateur Fortu publie La Vie de ma mort aux éditions Delcourt, dans la collection « Pataquès ». Le lecteur y est invité à se pencher sur une famille tout ce qu’il y a de plus ordinaire : homme, femme, enfants, confrontés aux aléas du quotidien. Avec toutefois cette singularité : ces personnages sont des… zombis.

Il suffit parfois de changer la nature d’un individu pour rendre une situation ordinaire saugrenue. Ainsi, quand une famille lambda est invitée à dîner chez des zombis, elle se demande avant tout si ce n’est pas elle qui va constituer le repas et prend dès lors toutes les précautions nécessaires, en se présentant s’il le faut à la fête accoutrée en joueurs de hockey… Le malaise qui s’ensuit est tout aussi symptomatique : une humanité à ce point dégradée, telle que celle des morts-vivants, peut-elle engendrer autre chose qu’une forme exacerbée d’incommunicabilité ?

Figure désormais récurrente de la culture populaire, démocratisée par George A. Romero ou encore la série télévisée The Walking Dead, le zombi quitte cette fois l’horreur pour investir le registre de l’humour. La famille que portraiture Fortu à l’aide de dessins simples et parfois reproduits à l’identique sur plusieurs cases cherche avant tout à se fondre dans la masse. Chose cependant difficile quand on a la mâchoire qui pend, le crâne à l’air libre, l’assiette remplie de morceaux de cadavre et un compagnonnage constant de mouches…

C’est précisément cette mécanique du détournement, rendant tout acte anodin absurde, qui contribue à faire le sel – et l’intérêt – de ce petit album. Le cimetière y est perçu comme une épicerie, une séance de musculation débouche sur un démembrement, Jésus est vu comme le premier « revenant » de l’Histoire et la recherche d’un travail prend des atours kafkaïens. Fortu fait preuve d’une grande inventivité dans sa contamination du réel par des personnages revenus d’entre les morts. Et plus encore que leur incompatibilité avec leur environnement immédiat, c’est leur volonté de bien faire, de se fondre dans la masse, qui prête à sourire et occasionne des séquences cocasses…

Divertissement plaisant, objet intéressant pour son propos sous-jacent sur la discrimination (eh oui !), La Vie de ma mort se lit d’une traite, avec légèreté et… gourmandise.

La Vie de ma mort, Fortu
Delcourt/Pataquès, février 2022, 104 pages

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