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« Kundan : La Nuit éternelle » : l’ombre et le sang

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec « La Nuit éternelle », Luana Vergari clôt la trilogie Kundan sur un ton crépusculaire, où la vengeance et le mythe s’enlacent dans une Inde coloniale rongée par la rancœur. 

Inde, début du XXe siècle. Le palais du maharajah est devenu le théâtre d’un drame inéluctable. Kundan se dissimule sous les traits de Lord Benedict et ourdit sa revanche contre l’Empire britannique. Séducteur retors et esprit vengeur, il ensorcelle Mary, la fille du souverain, qu’il transforme en vampire. Autour d’eux, la maladie se répand dans les campagnes et les faubourgs, soulevant les vieilles superstitions, les murmures des Thugs, les ombres du passé. 

Kavi, fidèle servante de Mary, observe avec effroi cette lente corruption. Soupçonnant le double jeu de Kundan, elle se rend au temple de Durga, la déesse guerrière, dont les prêtresses auraient jadis repoussé les créatures des ténèbres. Cette dimension mythologique, tissée dans la trame du récit, vient donner au mythe du vampire une inflexion singulière : ici, l’ombre venue d’Europe s’ancre dans les légendes de l’Inde, comme si le mal colonial, spirituel et vampirique se confondaient.

Luana Vergari ne perd pas de temps : tout converge vers un affrontement annoncé, inexorable. La narration alterne entre flashbacks et préparatifs guerriers, dévoilant les origines de Kundan : le massacre de sa famille, les humiliations subies, le lent chemin vers la damnation. Ce troisième tome fait la lumière sur les motivations du monstre sans jamais les excuser. Car Kundan, avant d’être un récit fantastique, est aussi une tragédie : celle d’un homme consumé par le ressentiment et la soif de justice, au point de devenir ce qu’il haïssait.

Sur le plan graphique, Emmanuel Civiello livre un travail d’orfèvre. Son trait restitue l’atmosphère moite et inquiétante de l’Inde coloniale : soieries, ombres, reflets de lanternes, visages tourmentés… Tout concourt à une impression d’oppression permanente. Certaines planches, d’une intensité quasi cinématographique, semblent inspirées du clair-obscur caravagesque : la lumière s’y fait jugement, l’obscurité dévore tout.

Narrativement, le tome souffre peut-être d’un léger déséquilibre. La tension politique, esquissée dans les volumes précédents, reste en arrière-plan : les rivalités coloniales ne sont qu’un décor pour la vengeance intime de Kundan. Mais cette relative focalisation concourt aussi à recentrer le propos sur le mythe, sur la contamination morale et spirituelle qui gagne les âmes. Mary, devenue instrument du Mal, propage la malédiction comme une métaphore du pouvoir destructeur de la domination et du désir.

Luana Vergari parvient ainsi à fusionner deux univers rarement associés : la noirceur victorienne du vampire européen et la mystique flamboyante de l’Inde mythologique. Le mix fonctionne grâce à une écriture soignée. Et si la conclusion paraît abrupte, elle conserve une puissance symbolique indéniable : le cercle du Mal se referme, la vengeance s’accomplit. Kundan s’achève comme un poème noir, entre sacrifice et damnation, porté par une mise en vignettes réussie.

Kundan : La Nuit éternelle (T03), Luana Vergari et Emmanuel Civiello 
Glénat, 15 octobre 2025, 56 pages

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