Dans Kosmos, Pat Perna et Fabien Bedouel imaginent un récit contre-factuel faisant des Soviétiques les premiers cosmonautes à poser le pied sur la lune. Ce faisant, les auteurs font écho aux fake news qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux.
De Stanley Kubrick à Alfonso Cuarón en passant par George Lucas, James Gray ou Christopher Nolan, de nombreux cinéastes ont pris l’espace pour cadre, esthétisant les étoiles et y fondant, souvent, ce qui fait l’essence de l’homme. Avec Kosmos, le scénariste Pat Perna et le dessinateur Fabien Bedouel leur emboîtent le pas : non seulement l’au-delà spatial constitue le théâtre très bédégénique du récit, mais ce dernier prend appui sur la concurrence géopolitique que se livrent deux superpuissances à l’orée des années 1970, les États-Unis et l’Union soviétique.
Dans une longue introduction entièrement muette, Neil Armstrong procède au premier alunissage de l’histoire de l’humanité. Il s’avance sur une terre encore inexplorée, démontrant de ce fait la suprématie des États-Unis sur les autres puissances spatiales. Mais ce qu’il s’apprête à découvrir va tout chambouler : un drapeau soviétique trône non loin de sa navette, tandis que le corps sans vie d’une cosmonaute russe git à quelques encablures de là. Pat Perna et Fabien Bedouel s’adonnent ainsi à un récit contre-factuel, qu’une citation de Joan Fontcuberta vient éclairer d’une lumière profuse : à l’ère des fake news, il est aisé de tordre les faits et de marteler un récit alternatif jusqu’à lui donner l’apparence d’une vérité.
Graphiquement, Kosmos pourrait diviser. Certains verront dans ses abondants aplats noirs figurant l’espace une épure mettant en exergue les représentations plus sophistiquées des fusées spatiales ou de la surface lunaire. D’autres pourraient en regretter le caractère simplifié, voire schématique. Il est pourtant difficile de contester l’iconicité des dessins de Fabien Bedouel, qui n’hésite pas à jouer avec les échelles de plan, le cadre ou les reflets – le drapeau soviétique apparaît ainsi réfléchi sur la visière de Neil Armstrong. Même en noir et blanc, l’espace apparaît finalement aussi propice au neuvième qu’au septième art. Hypnotique et intrinsèquement spectaculaire.
Si les quelque 200 pages de Kosmos se lisent promptement, notamment en raison des nombreuses pages dénuées de dialogues, l’album n’en est pas pour autant expurgé d’enjeux. Pat Perna s’appuie sur le programme COSMOS pour raconter les faux-semblants de la politique soviétique et la guerre spatiale que l’URSS et les États-Unis se livraient à distance au moment de la guerre froide. Prenant par moments l’aspect d’un faux documentaire, emmêlant le réel et le fictif, Kosmos balade le spectateur des cosmodromes aux modules d’alunissage, des centres de contrôle à la « lasagne dialectique » des faits alternatifs, le tout en racontant étape par étape une mission spatiale périlleuse, caractérisée par la perte d’un cosmonaute, la magnificence d’un panorama inédit et les sacrifices nécessaires à la propagande nationale.
Kosmos, Pat Perna et Fabien Bedouel
Delcourt, octobre 2021, 212 pages