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« Joe » : les zones grises de l’humanité

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans un monde devenu résiduel, scindé entre zones blanches, grises et noires, Yves Grevet et Maribel Conejero explorent les abîmes de l’humanité. Leur album Joe – Dans l’univers de Méto s’appuie sur les conséquences d’une troisième guerre mondiale uchronique pour narrer les mésaventures de Joe, un adolescent en quête de vérité sur la disparition de son amie Sarah, et bientôt soumis à des politiques brutales.

Dans la bande dessinée uchronique Joe, une troisième guerre mondiale opposant les blocs communiste et occidental a occasionné une catastrophe mondiale, caractérisée par des populations décimées et un territoire morcelé, dont des pans entiers sont devenus invivables.

C’est dans ce contexte que disparaît Sarah. Cet événement sert de catalyseur à l’odyssée périlleuse de son ami Joe, qui la considérait comme sa propre sœur. Ne parvenant pas à comprendre les raisons pour lesquelles Sarah – et beaucoup d’autres lycéens – changent d’école du jour au lendemain, l’adolescent décide de sonner à la porte de sa maison. Éconduit, il subit en outre la colère de ses parents, qui lui reprochent une conduite inconsidérée et témoignent de leur peur d’être expulsés de la zone blanche et expédiés dans un camp de réfugiés…

Des tracts informatifs distribués par une organisation clandestine, les chiendents, et surtout une discussion avec sa sœur apportent quelques informations précieuses à Joe : les familles trop nombreuses n’auraient d’autre choix que de se séparer de certains de leurs enfants, exploités ensuite en tant que soldats… ou esclaves. Les chiendents, groupe de résistants, viendront en aide à Joe pendant son transfert (l’ouverture montrait son arrestation). Ils illustrent le rôle des contre-pouvoirs dans une société en proie à l’oppression.

Après avoir posé les fondements d’une société dystopique, Yves Grevet va dévoiler les dessous des organisations clandestines, soutenues par des quidams en désaccord avec les politiques menées, menacées par la délation (y compris interne) et en proie aux patrouilles de police. Joe passe un temps avec les chiendents, avant d’être arrêté et transféré dans un centre de tris, où les enfants enlevés sont tenus de se battre pour de la nourriture sous la surveillance intéressée des autorités.

Joe incarne alors un peu plus l’éthique face à la brutalité systémique. Son choix de jeûner plutôt que de lutter contre ses pairs pour manger met en exergue la possibilité de conserver des convictions personnelles même en des temps de déshumanisation à marche forcée. Car jusque-là, et cela semble être l’un des thèmes centraux des auteurs, l’urgence aidant, des décisions habituellement inacceptables peuvent soudainement paraître séduisantes et applicables.

L’album dépeint ainsi un monde (presque) fini, où l’extrême devient refuge. Joe – Dans l’univers de Méto comprend en fait toute une série de dilemmes moraux et de questions philosophiques qui, si elles ne sont pas éludées, restent traitées à la marge. Le récit, adapté d’une trilogie plusieurs fois récompensée, ménage quelques zones d’ombre et se distingue davantage par sa capacité à poser des questions plutôt qu’à fournir des réponses. Ainsi, peut-on aveuglément croire Géronimo, le chef des chiendents ? Et si les enfants sont effectivement entraînés à être des soldats, contre qui et pourquoi se battent-ils ?

Joe – Dans l’univers de Méto, Yves Grevet et Maribel Conejero
Glénat, août 2023, 72 pages

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