Helen de Wyndhorn est le dernier récit en date de Tom King. Mis en images par Bilquis Evely, il s’apparente à une fable à la croisée du réalisme et du mythe, du chagrin et de la révélation. C’est un conte de fantômes et de transmission, une plongée dans ces territoires troubles où les histoires que l’on raconte finissent par modeler ceux qui les écoutent.
Helen Cole apparaît d’emblée comme une jeune femme égarée, perdue dans l’ombre d’un manoir familial qu’elle découvre avec fascination, pièce après pièce. Elle n’avait auparavant jamais vu une telle grandeur, une telle ostentation. La jeune femme, désormais orpheline, vient d’hériter du silence et des fantaisies d’un père écrivain, génie des pulps de fantasy. Elle boit, elle fume, elle s’abandonne presque quotidiennement, sans que sa préceptrice ne puisse rien faire pour l’en empêcher. Le monde réel l’ennuie, la dégoûte même. Jusqu’au jour où une créature gigantesque déchire la nuit devant les grilles du domaine – et que son grand-père, une figure plutôt taciturne, surgisse armé d’une épée pour la sauver. Ce n’est pas un rêve : le monde de papier et d’encre des romans de C.K. Cole existe bel et bien, tapi juste derrière les murs du manoir.
Ce que Tom King orchestre ici, ce n’est pas une simple incursion dans le merveilleux, mais une véritable exploration du rapport entre fiction et filiation. L’imaginaire devient un héritage, une malédiction et un salut à la fois. Dans ce récit à tiroirs, où une gouvernante vieillissante raconte son passé à un journaliste des décennies plus tard, le scénariste déploie sa narration en spirale, jouant sur les temporalités et les voix. On passe de la confidence au souvenir, du mythe au regret, dans une structure qui ressemble à une mémoire en train de se recomposer.
L’écriture de Tom King conserve sa patte : lente, introspective, presque musicale. Il préfère la suggestion à l’explication, les silences aux révélations. Certains lecteurs s’en trouveront peut-être frustrés ; d’autres y verront la marque d’un auteur qui ne raconte pas des aventures, mais des aspérités humaines parfois extrêmes. Helen de Wyndhorn parle ainsi, chemin faisant, autant de la création que de la perte : de ce que les histoires volent à ceux qui les écrivent, et de ce qu’elles laissent à ceux qui les lisent.
Le tout est servi par une grâce graphique presque irréelle. Un trait fin, d’une précision chirurgicale, qui confère au livre une aura singulière. Les pages alternent entre l’élégance des intérieurs anglais et l’exubérance visuelle du monde fantastique. Helen de Wyndhorn ne cherche pas tant à caractériser l’héroïsme : il s’en détourne. Il explore plus volontiers les failles, les transmissions inachevées, les mythes qui finissent par dévorer leurs créateurs. Et si la fin paraît abrupte, presque suspendue, elle participe de cette impression de livre-monde dont les portes ne se referment jamais complètement.
Helen de Wyndhorn, Tom King et Bilquis Evely
Glénat, octobre 2025, 168 pages




