Avec cet album, nous voici déjà arrivés au huitième épisode de la série Les Vieux Fourneaux qui met en scène le trio du troisième âge qui fait l’illustration de couverture, à savoir et de gauche à droite Pierrot le plus allumé des trois, Antoine qui va se retrouver au centre de quelques révélations et Mimile le plus sérieux ou solide. L’épisode nous rapproche de l’univers des rugbymen et fait de nombreuses allusions à la série Le Loup en slip.
La première planche nous rapproche d’un autre personnage de la génération du trio des Vieux fourneaux, monsieur Civrac, producteur de pommes bio qui déplore les effets d’une saison caniculaire, avec l’étang de la Gibelette réduit à sa plus simple expression, puisqu’on peut en voir le fond, situation inédite. On le sent assez remonté mais également un peu ailleurs. L’explication, c’est qu’il se prépare à régler une vieille rancœur. Dans le même temps, une fois de plus, Pierrot fait des siennes, alors qu’il prend le train pour revenir à Montcœur, afin de participer à la petite fête organisée pour les 60 ans du théâtre « Le Loup en slip » fondé par Lucette, l’épouse décédée d’Antoine. Ce dernier prépare la fête avec sa petite-fille Sophie. L’occasion d’évoquer entre eux l’événement qui a tout changé, à savoir le premier baiser entre Antoine et Lucette.
De quoi s’amuser
La préparation de la fête se trouve contrariée par l’arrivée à Grandcœur d’un personnage que tout le monde prend pour Pierrot débarquant avec un temps de retard de la gare, ce qui nous vaut quelques malentendus. Attention cependant, n’imaginez pas que la surdité même débutante soit au centre de ces confusions, parce que les personnages concernés sont du troisième âge. C’est l’occasion de signaler non sans un certain amusement que nos trois personnages centraux ne vieillissent pas d’un épisode à l’autre, grand classique de la BD franco-belge, ce qui ne les a pas empêché d’atteindre ce fameux troisième âge. En parallèle, on constate que nos papys agissent bien souvent comme s’ils n’avaient aucune difficulté physique, ce qui crée une sorte de décalage amusant avec leur allure générale, le crâne dégarni, lunettes pour deux d’entre eux, une bonne bedaine pour Mimile, etc. A cela s’ajoute leur façon de s’exprimer qui exclut un vocabulaire djeune qui ne collerait pas, mais des expressions qui montrent qu’ils ne sont pas les papys gâteux qu’on pourrait imaginer. Par contre, de leur mentalité tendance anarchiste, on peut regretter sur cet épisode qu’elle n’aille guère plus loin que les provocations de Pierrot qui occupent essentiellement quelques planches en début d’album.
La jeunesse des Vieux Fourneaux
Ceci dit, toujours aussi à l’aise dans le domaine de la série franco-belge un peu hors normes mais calibrée (54 planches), les auteurs ne manquent pas d’inspiration, car même s’ils délaissent un peu le côté provocateur qu’on apprécie chez leurs personnages, ils s’intéressent à leur passé amoureux d’une façon qui permet de mieux comprendre leurs personnalités, ce qui justifie parfaitement le titre de l’épisode, amusant par bien des points. Et puisqu’il est question du passé (on remonte quand même jusque 1951), les flashbacks s’insèrent logiquement dans la narration sans la moindre confusion, par l’utilisation d’un noir et blanc relativement clair qui s’harmonise bien avec les couleurs de Jérôme Maffre. De manière générale, on apprécie à nouveau le dessin très expressif de Paul Cauuet, même si je le trouve plus à son aise pour croquer son trio de papys plutôt que ses autres personnages plus jeunes qui arborent des visages un peu trop systématiquement sympathiques à mon avis. Il est vrai cependant que cela colle assez bien avec les relations souvent privilégiées qui s’établissent entre grands-parents et petits-enfants. Sans surprise, tout le travail de découpage, de mise en scène et d’organisation des planches est impeccable, ce qui nous donne un nouvel album très agréable à lire, bien qu’on puisse le qualifier de parenthèse dans la série.
Petits regrets
A noter quand même que les flashbacks mettent en évidence que selon le point de vue, un même événement puisse donner lieu à plusieurs interprétations, ce qui change beaucoup de choses. Le petit regret que j’y associe, c’est que les auteurs privilégient une ambiance bon enfant, alors qu’ils abordent un thème dont la gravité dégage un potentiel à peine effleuré et qui se trouve même finalement tournée en dérision. En effet, en début d’album M. Civrac se prépare pour la bagarre pour une raison qui lui tient particulièrement à cœur depuis très longtemps. Or, nous arrivons à la conclusion que M. Civrac arrive bien trop tard (il n’a plus les moyens physiques) pour obtenir réparation. Surtout, on réalise qu’au moment crucial, des moyens pas franchement respectueux permettent d’établir des situations sur le long terme. Ce n’est pas la réparation d’une mobylette enfin retrouvée qui y changera grand-chose, malgré tous les efforts humains déployés à l’occasion. Et Sophie la petite-fille ne trouvera rien à y redire, puisque depuis longtemps, comme on dit les jeux sont faits. Les autres points qui font un peu tiquer sont l’insistance sur Le Loup en slip qui tourne à l’auto-promotion un peu facile et l’intervention d’un rugbyman, le Fidjien Koroiduadua, personnage réel (présenté comme joueur du Stade Toulousain, alors qu’en France il n’a joué que pour l’AS Clermont-Auvergne) qui tombe comme un cheveu sur la soupe pour ancrer l’épisode dans l’univers du rugby. Dans cette série, les auteurs font régulièrement des pieds de nez à la crédibilité, mais ici à mon avis ils vont trop loin.