Les éditions Urban Comics publient Gotham City : Année un, de Tom King et Phil Hester. Ensemble, ils remontent aux origines d’une longue perdition urbaine, en ne faisant apparaître Batman qu’en tant que confident. Un thriller graphique mené de main de maître.
Quand Samuel « Slam » Bradley se remémore l’ancien Gotham, la métropole n’a rien du coupe-gorge que l’on connaît. Le détective privé évoque au contraire « une grande communauté prospère et en pleine croissance », où les enfants peuvent jouer dans les rues librement et en toute quiétude, et où les voisins ne prennent même pas la peine de verrouiller leur porte d’entrée. « Y vivre procurait un sentiment de fierté. Nous étions comme autant de voiliers poussés par une agréable brise. » Tout l’intérêt de Gotham City : Année un réside dans l’emploi du passé, Tom King et Phil Hester se proposant de démystifier la manière dont le mal s’est insinué dans la ville du Chevalier noir.
Au début de leur histoire, les commentaires vont bon train : Helen, la dernière-née de la richissime famille Wayne, n’a plus été aperçue en public depuis plusieurs semaines. Toutes sortes de rumeurs se répandent à ce sujet et la presse ne se fait pas prier pour les relayer. Parallèlement, « Slam » est engagé pour remettre une mystérieuse missive à Richard Wayne ; il apprendra, à ses dépens, que le bébé a été enlevé et qu’une rançon est réclamée en vue de sa restitution. L’ancien policier se trouve malgré lui mêlé à une histoire sordide à triple fond. Une mésaventure qu’il conte, des décennies plus tard, sur son lit de mort, à Batman.
Richard et Constance, les parents de Helen, étaient ses grands-parents. Ils entretenaient une relation tumultueuse : lui est un joueur invétéré doublé d’un alcoolique notoire, infidèle et violent qui plus est, tandis qu’elle sait se montrer teigneuse et manipulatrice. Et s’ils étaient en réalité responsables de la déchéance de leur ville ?
« Slam » relate une affaire de famille qui tourne au vinaigre. Mais quand cette famille est précisément celle qui régit la ville, c’est tout Gotham qui fait la moue. Émotionnellement impliqué dans l’enquête, en partie parce qu’il est obsédé par le sort de la « princesse Wayne », mais aussi parce que son secrétaire et ami Jonathan Dawson a été retrouvé mort dans les quartiers populaires de South Side, « Slam » cherche à remonter la piste de Sue, la femme qui lui a remis la lettre adressée à Richard Wayne. Cela suffit à Tom King et Phil Hester pour charpenter un thriller aussi noir que le charbon, témoin des espoirs suscités par Gotham mais aussi de ses fêlures – la ségrégation, le racisme, la prostitution, la violence policière et institutionnelle… C’est pourtant bel et bien l’affaire Helen Wayne, et le discrédit jeté sur les communautés afro-américaines, qui vont servir d’incubateur aux émeutes et, partant, à une gangrène qui ne cessera plus de meurtrir la ville.
Graphiquement varié et très qualitatif, Gotham City : Année un a la bonne idée d’employer un détective « historique » de la série pour conter l’envers de la ville de Batman. Non seulement l’album parvient à caractériser avec soin « Slam », mais il éclaire d’une lumière inédite l’histoire familiale des Wayne, dans une Amérique racialement et socialement divisée. Pour ce faire, Tom King et Phil Hester déploient une ambiance étouffante, où les coups se perdent aussi vite que les réputations.
Gotham City : Année un, Tom King et Phil Hester
Urban Comics, octobre 2023, 208 pages